Un moine priant les yeux fermés

Demeurer en présence de Dieu



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On peut résumer ce qu’est la prière chrétienne, l’oraison, en disant qu’il s’agit tout simplement de demeurer en présence de Dieu. Encore faut-il comprendre ce que l’on veut dire par cela.
Il y a différentes manières de le vivre, car notre être a beaucoup de dimensions : corps, psychologie, mémoire, intelligence et volonté, cœur profond.

I – Le corps : membres et sensations

Tout ce que nous faisons, nous le faisons avec notre corps. La première chose à vivre dans la prière est donc de se mettre corporellement en présence de Dieu. Cela peut paraître simple, mais c’est tout un travail de se tenir en présence de Dieu avec son corps. La liturgie nous montre l’exemple : nous nous rassemblons dans un lieu déterminé, ou nous marchons en procession ; nous nous mettons debout, assis, à genoux ; nous lèvons les bras ; etc. : autant de manières de prier avec son corps. Il en va de même pour la prière personnelle, dans laquelle il faut aussi commencer par être bien dans son corps.
Certaines sensations nous aident à prier : douceur de la lumière d’une bougie, odeur d’encens, etc. D’autres nous tirent plutôt à l’extérieur (odeur du gâteau en train de cuire !). Dieu a pris un corps pour nous rejoindre, il a touché des corps pour les guérir. Encore aujourd’hui il peut venir à nous par notre corps et nos sensations.
Il est bon cependant d’entrer en soi-même, quitter l’extériorité de notre être pour cheminer vers son intériorité.

II – La psychologie : sensibilité, affectivité, imagination.

Entré en soi-même, on trouve d’abord la zone multiforme de la sensibilité. Elle aussi doit servir notre rencontre avec Dieu. Chacun est sensible à des choses différentes qui éveillent des désirs. Notre sensibilité peut être éduquée pour qu’elle serve en nous le désir de Dieu, le goût de la rencontre avec Dieu. Dieu peut venir nous rencontrer par la beauté extérieure qu’on accueille en soi.
La sensibilité nous ouvre aussi aux autres. On l’appelle alors plus précisément l’affectivité. Celle-ci sert aussi pour aller à Dieu et demeurer en sa présence. D’abord parce qu’on n’est jamais chrétien tout seul, c’est donc souvent grâce à des personnes aimées qu’on va d’abord à Dieu. La liturgie qu’on célèbre en Église, en communauté, sert en partie à nous entraîner les uns les autres. Il est donc nécessaire pour la santé spirituelle de s’efforcer d’être ami avec des amis de Dieu. Ensuite, il est bon d’aimer le Christ avec son affectivité, elle deviendra alors aussi un lieu de rencontre avec lui. Beaucoup d’écrits de saints peuvent aider à contempler le Christ en son humanité, et éveiller ainsi l’affection pour lui.
Il ne faut ni avoir peur de son affectivité, qui est parfois mouvementée, ni s’arrêter à elle. Elle est un passage pour entrer plus profondément en soi.
L’imagination va jouer un grand rôle dans la zone de notre psychologie. Quelques fois (ou souvent) elle se laisse entraîner par les sensations ou l’affectivité, alors elle donne naissance aux distractions… Quelques fois elle fait preuve de créativité et peut utiliser les sensations ou l’affectivité : à partir de l’extérieur, on fabrique une image à l’intérieur de soi, on commence à s’approprier ces sentiments superficiels. Alors grâce à elle, on peut commencer à canaliser sa sensibilité, son affectivité. Le premier lieu où on peut élaborer toutes les émotions qui se bousculent en nous est l’imagination.
Encore une fois, il s’agit de ne pas s’arrêter à elle. Elle est au service de plus hautes instances

III – La mémoire

La mémoire permet de rapprocher des images, des idées, des souvenirs. Elle fait le lien entre le passé et le présent. C’est très important dans la prière/l’oraison, car c’est une ouverture à la contemplation : en rapprochant des images, des sensations, des expériences ou des réflexion, on donne l’occasion à Dieu d’y manifester sa Présence.
A la base de notre foi, il y a la mémoire de ce que le Christ a fait et dit, ainsi que de ce que Dieu a fait pour préparer la venue du Christ. Vivre en Église, c’est marcher sur un chemin que d’autres ont parcouru. On ne va jamais à Dieu tout seul. On reçoit des repères de ceux qui nous ont précédé : c’est important (et même capital) dans la prière, et la vie chrétienne en général, de faire appel à l’expérience des autres. La liturgie nous apprend à faire mémoire par la célébration des mêmes fêtes chaque année.
Il y a aussi la mémoire de ce que Dieu a accompli dans nos vies à chacun qui est aussi importante : c’est l’histoire sainte de chacun, qui est l’histoire d’une rencontre, d’une relation qui s’approfondit. Il y a des ombres et des lumières dans notre mémoire : le Christ vient nous rencontrer dans les blessures pour les purifier, les guérir, et dans les joies pour les faire resplendir et les accomplir.

IV – L’intelligence et la volonté

Déjà avec la mémoire nous étions entrés dans les plus hautes instances de notre être. Ici, nous sommes totalement dans la partie spirituelle de nous-mêmes : l’âme, l’esprit, le lieu de la réflexion et du choix. C’est ce qui nous fait spécifiquement humain. C’est grâce à elle que nous pouvons avoir la communication la plus profonde avec les autres hommes. Elle va donc jouer aussi un rôle premier dans notre relation à Dieu. Tout le chemin parcouru jusqu’ici n’aurait pas pu être fait sans l’intelligence et la volonté.
Jésus lui-même a passé une grande partie de son temps de vie publique à enseigner, ce n’est pas pour rien. Il manifeste ainsi l’importance du connaître et du comprendre. A la suite de milliers de générations chrétiennes, il nous faut accueillir cet enseignement avec notre intelligence dans la prière. Il est important donc de méditer la Parole de Dieu, les écrits des saints, etc. Il est essentiel qu’un chemin de vie spirituelle soit nourri par une réflexion. Elle nous permet de connaître que Dieu est bon, que le Christ nous a sauvés du péché et de la mort, qu’il veut entrer en amitié avec nous, etc.
Alors on peut adorer ce que l’on connaît : adorer, c’est à la fois connaître et s’engager totalement pour l' »objet » de son adoration. C’est choisir de tout miser sur le Christ dont on a savouré, médité, intériorisé la Parole. C’est vouloir conformer sa vie à cette Parole, et le faire vraiment.
Remarquons que la liturgie, la prière de l’Église, est là aussi bonne éducatrice. En effet le mouvement général de la messe commence par une longue partie d’enseignement : la liturgie de la Parole ; puis vient la liturgie eucharistique proprement dite durant laquelle on répond à cette parole en nous engageant totalement avec le Christ. Nous choisissons de tout miser ensemble sur la vérité qui a été proclamée, et qui est le Christ, et de communier tous ensemble avec lui.
Cet engagement de la volonté peut coexister avec des distractions. Il est beaucoup plus important que ces distractions. Par conséquent, peu importent les distractions si la volonté reste totalement engagée dans le choix de donner ce temps à Dieu. Le cœur est alors tourné vers Dieu, et c’est cela l’oraison.
Cette rencontre ne suffit pas encore : Dieu est trop grand pour être compris, mais Il veut nous faire aller plus loin. Dieu ne peut pas être saisi, mais Il veut nous saisir lui-même par son amour.

V – Un creux et une porte au fond du cœur…

Le livre de l’Apocalypse (3, 20) nous révèle qu’il y a en nous une porte à laquelle Dieu frappe. Il y a une capacité pour Le recevoir en nous, un creux, un désir, qui nous tend, qui nous oriente, vers Lui. Une aspiration au bonheur, à être comblé par une Présence qui surpasse toute présence. Le choix d’ouvrir la porte à laquelle Dieu frappe pour venir demeurer en notre cœur, à l’intime de notre être, nous appartient. Nous ne pouvons pas parvenir à Dieu par nous-mêmes, c’est Lui qui nous attire et qui intervient pour se révéler. Alors on le choisit ou on le rejette. Nous restons absolument libres de notre réponse.
Nous sommes ici au plus intime de notre être, lieu ultime de la prière. Au baptême, la porte commence à s’ouvrir, et l’Esprit Saint peut venir demeurer en nous de manière permanente pour agir en nous et prier en nous, si nous le voulons. Bienheureux seront ceux qui, de jour en jour, feront et referont plus profondément, plus pleinement, ce choix d’accueillir Dieu en eux. Cette expérience se trouve au cœur de la prière, même si nous ne nous en rendons le plus souvent pas compte, car Dieu se fait discret pour ne pas nous brusquer.
Dieu vivant ainsi en nous va venir petit à petit habiter tout notre être, dans la mesure où on le laisse entrer. Il va illuminer notre intelligence, pour que nous puissions le connaître ; fortifier notre volonté, pour que nous puissions le choisir ; apaiser notre mémoire, pour que nous puissions la tourner vers lui ; unifier notre psychologie, pour que nous vivions en paix ; faire rayonner notre corps, pour que tous ceux qui nous voient glorifient Dieu.

« Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera, et nous viendrons vers lui et nous ferons chez lui notre demeure. » (Jn 14, 23)