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Lumières sur le Purgatoire



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La doctrine du purgatoire

… est tardive dans l’histoire de l’Église. Elle n’a été définie comme une vérité de foi qu’au Concile de Florence (1439).

Si ceux qui se repentent véritablement meurent dans l’amour de Dieu, avant d’avoir par des fruits dignes de leur repentir réparé leurs fautes commises par actions ou par omission, leurs âmes sont purifiées après leur mort par des peines purgatoires et, pour qu’ils soient relevés de peines de cette sorte, leur sont utiles les suffrages des fidèles vivants, c’est-à-dire : offrandes de messes, prières et aumônes et autres œuvres de piété qui sont accomplies d’ordinaire par les fidèles pour d’autres fidèles, selon les prescriptions de l’Église. (Denzinger 1 304)
Le Concile de Trente (1563) reprend et approfondit ces vérités face aux Réformateurs qui les niaient :

L’Église catholique, instruite par l’Esprit Saint, à partir de la sainte Écriture et de la tradition ancienne des Pères, a enseigné dans les saints conciles et tout dernièrement dans ce concile œcuménique qu’il y a un purgatoire et que les âmes qui y sont retenues sont aidées par les suffrages des fidèles, et surtout par le sacrifice de l’autel si agréable à Dieu. Aussi le saint concile prescrit-il aux évêques de tout faire pour que la saine doctrine du purgatoire, transmise par les saints-Pères et les saints conciles, soit l’objet de la foi des fidèles, que ceux-ci la gardent, et qu’elle soit enseignée et proclamée en tous lieux.

On exclura des prédications populaires auprès des gens sans instruction les questions plus difficiles et subtiles, qui ne sont d’aucune utilité pour l’édification, et desquelles la plupart du temps la piété ne tire aucun profit. On ne permettra pas que soient divulgués et abordés des points incertains ou qui sont apparemment faux. On interdira, comme scandaleux et offensant pour les fidèles, tout ce qui relève d’une certaine curiosité ou de la superstition ou tout ce qui a indécemment un goût de lucre. (Denzinger 1820)

Plan :

D’où ça sort ?
Qu’est-ce que le purgatoire ?
Comment éviter le purgatoire ?
Comment aider les âmes du purgatoire ?
Conclusion

D’où ça sort ?

Puisque le purgatoire n’a été défini formellement qu’en 1439, certains en concluent qu’il est une invention des hommes, plutôt récente dans l’histoire de la théologie. Or il est plus ancien que le christianisme. En témoigne un texte capital issu du 2° livre des Martyrs d’Israël (ou 2° livre des Macchabées). Après une bataille victorieuse, les Juifs ramassent les cadavres de ceux qui sont morts au combat :

[Les Juifs] trouvèrent sous la tunique de chacun des morts des objets consacrés aux idoles de Jamnia, que la Loi interdit aux Juifs. Il fut ainsi évident pour tous que c’était là la raison pour laquelle ces soldats étaient tombés. 41 Tous donc, bénissant la conduite du Seigneur, juge équitable qui rend manifestes les choses cachées, 42 se mirent en prière en demandant que la faute commise fût entièrement effacée […] 43 Ayant fait une collecte, [leur chef] envoya deux mille drachmes à Jérusalem, afin qu’on offrît un sacrifice pour le péché, agissant fort bien et noblement dans la pensée de la résurrection. 44 Si, en effet, il n’avait pas espéré que les soldats tombés ressusciteraient, il eût été superflu et sot de prier pour des morts ; 45 s’il envisageait qu’une très belle récompense est réservée à ceux qui s’endorment dans la piété, c’était là une pensée sainte et pieuse : voilà pourquoi il fit faire pour les morts ce sacrifice expiatoire, afin qu’ils fussent absous de leur péché. (2Maccabées 12)

Ces soldats combattaient pour Israël, pour sauver la foi d’Israël, ils sont donc morts en martyrs, et pourtant, ils portaient des amulettes superstitieuses… (Aujourd’hui encore, il existe des chrétiens dont la foi est mélangée d’un peu de superstitions). Ils ont donné leur vie pour Dieu, mais ce don était impur (= mélangé par du paganisme).

Ce texte nous enseigne plusieurs vérités.

  1. D’abord, ces Juifs croient à une survie personnelle dans l’au-delà.
  2. Il est possible d’obtenir la remise des péchés dans l’au-delà.
  3. Ceux qui sont ici-bas peuvent faire quelque chose pour ceux qui sont morts (notamment prier et offrir des sacrifices). L’auteur loue cette manière d’agir.

Toute la doctrine du purgatoire va se développer à partir de cette pratique de la prière pour les morts.

Nouveau Testament et tradition de l’Église

Dans le NT, on trouve quelques textes qui attestent que les premiers chrétiens avaient des pratiques pour les morts (cf. 1 Co 15,29). Mais il faut reconnaître que le mot purgatoire n’apparaît nulle part, et que sa réalité n’est pas explicitement évoquée. C’est un cas typique de ce que l’on appelle le « développement du dogme ». En venant parmi nous, Jésus révèle Dieu et « le mystère de sa volonté »(1). Mais tout n’a pas été compris et intégré immédiatement par les apôtres, il leur a manqué du temps pour cela. Ils ont transmis le dépôt révélé à leurs successeurs qui l’ont prêché et enseigné ; ainsi à chaque génération, le peuple de Dieu a pu méditer et approfondir ce qui était déjà donné. L’Esprit Saint « introduit les croyants dans la vérité tout entière »(2).

Ainsi certaines vérités de foi sont crues et vécues par l’ensemble du peuple chrétien sans être conceptualisées de manière explicite. Un peu comme des enfants vivent la foi sans pouvoir l’exprimer avec des mots. Dans l’histoire de l’Église, ce sont souvent des hérésies qui obligent à faire l’effort intellectuel permettant de lutter contre elle. On sait par exemple que la foi en la présence réelle du Christ dans l’eucharistie, qui a toujours été crue, n’a fait l’objet de traités de théologie et de définition du magistère qu’après les élucubrations de Bérenger de Tours au XIe (il niait que le Christ restait présent dans l’eucharistie après la messe).

Le contenu de la foi reste toujours identique, mais sa compréhension se développe, un peu comme un arbre qui grandit. Quand il est petit, c’est déjà tel arbre, en grandissant, c’est toujours le même arbre ; tel rameau presque imperceptible devient une branche sur laquelle on peut s’appuyer sans crainte.

De même, le purgatoire a toujours été cru, mais on ne l’a défini que tardivement, face aux Réformateurs qui en niaient l’existence parce que le mot n’apparaît pas dans la Bible.

Je vous fais grâce des innombrables témoignages que nous avons de la prière pour les défunts (dans des homélies des Pères de l’Église, ou dans des inscriptions sur des pierres tombales, et tout au long de l’histoire de l’Église). Je note simplement que la journée de prière pour les défunts (le 2 novembre) a été inventée au X ° siècle par un bénédictin, saint Odilon (abbé de Cluny). Il a instauré cette fête pour son monastère et ses dépendances, et elle s’est très vite célébrée dans toute la chrétienté.

À ce sujet, je me permets un petit souvenir personnel. Lorsque j’étais novice, le latin, même d’Église, conservait beaucoup d’obscurité pour moi. Le jour de la fête de saint Odilon (11 mai), nous chantions une antienne dont voici la traduction : « Odilon montra de quelle admirable charité son cœur était rempli, lorsque, compatissant aux souffrances des fidèles défunts, il prescrivit des prières annuelles pour leur soulagement ». J’avais mal compris de quoi il s’agissait, et j’interprétais ces mots (en latin) en pensant qu’il avait instauré cette fête pour soulager la peine de ceux qui souffraient d’un deuil cruel, parce que prier pour un défunt que nous aimons nous fait aussi du bien à nous. Ce serait si inhumain de ne plus pouvoir faire aucun bien à ceux que nous aimons et qui sont morts ! C’était donc une véritable erreur de grammaire latine, mais aussi une intuition intéressante : la prière pour les défunts leur fait du bien et nous fait du bien. Nous pouvons continuer d’aimer « nos » défunts en acte, par la prière (et par d’autres pratiques, j’y reviendrai). Nous pouvons aussi bénéficier de leur aide.

Que l’amour puisse parvenir jusqu’à l’au-delà, que soit possible un mutuel donner et recevoir, dans lequel les uns et les autres demeurent unis par des liens d’affection au-delà des limites de la mort – cela a été une conviction fondamentale de la chrétienté à travers tous les siècles et reste aussi aujourd’hui une expérience réconfortante. (Benoît XVI, Spe salvi 48)

L’apport des mystiques

Les théologiens qui réfléchissent sur les données de foi sont aussi aidés par certaines personnes à qui Dieu donne des révélations. Sur le purgatoire, nous bénéficions de plusieurs apports. Il est bien évident que l’on doit toujours se méfier des révélations personnelles et vérifier la sainteté des bénéficiaires. Ces visions sont toujours reçues à travers le prisme de la culture et de la psychologie de la personne qui en jouit. Une certaine unanimité règne quant au purgatoire, au moins pour les choses fondamentales. Parmi les grands noms : Ste Gertrude (+ 1302) ; Ste Catherine de Sienne (+1380) ; Ste Françoise Romaine (+1440) ; Ste Catherine de Gènes (+ 1510) ; etc. Plus près de nous dans le temps, mais non canonisée : Maria Simma (1915-2004), Autrichienne qui a eu de très nombreuses visites d’âmes du purgatoire(3).

Qu’est-ce que le purgatoire ?

Le purgatoire est un mystère(4) qui nous est révélé. Nous ne pouvons l’approcher que par touches successives, sans prétendre en faire le tour.

Le repentir de Pierre

Une première approche de ce qui se passe au purgatoire est celle de la douleur du repentir. Par exemple, lors du reniement de Pierre, Jésus l’a regardé après le chant du coq, Pierre en a pleuré ! Nous comprenons bien ce qu’est cette douleur intérieure d’avoir offensé celui qui nous aime. Cette douleur d’avoir offensé Dieu produit la contrition avec le ferme propos de ne plus recommencer. Il y a quelque chose de cette douleur au purgatoire.

Enlever la rouille

Au moment de sa mort, chacun est mis en présence de la vérité sur sa vie. Tous les artifices, tous les faux-semblants, sont mis de côté. Beaucoup sans doute découvrent alors que s’ils n’ont pas carrément rejeté l’amour divin, ils n’y ont pas répondu avec ardeur, ou même ils l’ont négligé, et parfois même maltraité. Ils seront sauvés, mais leur âme reste d’une certaine manière comme entachée par leur manque de générosité à aimer. Ils ne sont pas encore capables de l’amour fou.

Or, la condition sine qua non de l’entrée au Ciel est de savoir vivre l’amour fou, c’est-à-dire le don total de soi sans retour. Car tel est l’essentiel de la vie trinitaire dans laquelle les hommes sont invités à plonger : le don mutuel total, sans aucune once de retour sur soi.
Une âme qui n’est pas encore capable de ce don total de soi, sans égoïsme, sans calcul, a besoin d’être purifiée de ces taches. L’amour de Dieu est présent dans l’âme, mais il est comme recouvert de rouille. Le purgatoire va consister à enlever cette rouille(5).

Le feu

L’image d’un feu purificateur vient de l’Écriture Sainte : « Si l’œuvre d’un homme est consumée, il en subira la perte ; quant à lui, il sera sauvé, mais comme à travers le feu » (1 Co 3,15). Elle a beaucoup été exploitée par les prédicateurs… trop sans doute.

Dans les définitions du Magistère de l’Église, on a évité de parler du feu (sans doute pour ne pas le confondre avec le feu de l’enfer = attention, le purgatoire n’a rien à voir avec l’enfer !). Benoît XVI penche vers l’affirmation de théologiens modernes pour qui ce feu est le Christ lui-même.

Certains théologiens récents sont de l’avis que le feu qui brûle et en même temps sauve est le Christ lui-même, le Juge et Sauveur. La rencontre avec Lui est l’acte décisif du Jugement. Devant son regard s’évanouit toute fausseté. C’est la rencontre avec Lui qui, nous brûlant, nous transforme et nous libère pour nous faire devenir vraiment nous-mêmes. (Spe salvi 47)

Quelle est donc cette réalité qu’il faut brûler ?

La notion de peine

Un souvenir d’adolescence : un ami avait reçu de ses parents un vélomoteur tout neuf. En rentrant chez lui, par une mauvaise manipulation, il brise la vitrine du magasin au-dessus duquel il habitait. Après un moment « d’émotion », le propriétaire du magasin s’est calmé en voyant qu’il s’agissait de son voisin du dessus, un garçon sympathique et serviable qu’il appréciait. Il a donc très vite pardonné à cet ami d’avoir cassé sa vitrine. Reste qu’il fallait encore réparer la vitrine.

De manière analogue, dans un péché, quelque chose est cassé ou abîmé. Même si le pardon est donné, il reste à réparer le mal qui a été fait. Tout le travail de réparation s’appelle la peine.

Une autre histoire pour mieux comprendre : imaginons un couple marié : Jules et Julie. Un jour, Jules séduit par une belle étran­gère, trompe sa femme, qui l’apprend et en souffre terriblement. Quelque temps après, Jules reprend ses esprits, se rend compte de l’horreur de ce qu’il vient de commettre, et veut revenir vers Julie. Il lui demande pardon. Comme Julie aime encore son mari, et qu’elle est quelqu’un de très bien, elle lui pardonne. Mais nous sentons bien que tout ne sera pas fini pour autant. Pour rétablir la relation d’amour initiale, il va falloir que Jules déploie beaucoup d’énergie pour aimer Julie « en acte et en vérité » (1 Jn 3, 18) ; toute son attitude envers elle doit être transformée : attention, délicatesse, écoute, tendresse, etc. Par son adultère, il avait détérioré la relation avec son épouse ; après son retour, par son sur­croît d’efforts, jaillissants de son cœur contrit et de son amour renouvelé, il va réparer cette relation. Les efforts nécessaires à cette réparation sont précisément la peine que j’évoquais auparavant. Ce n’est pas Julie qui l’impose à Jules, c’est Jules qui éprouve le repentir et le besoin de réparer.
La peine due au péché, ce n’est pas Dieu qui l’impose comme un tribunal humain, elle est en fait exigée par le péché lui-même qui a besoin d’une réparation à cause de ce qu’il a saccagé dans la relation entre Dieu et l’homme. Je le répète, c’est une exigence qui est liée au péché, ce n’est pas Dieu qui l’impose arbitrairement(6).

Cette peine sera d’autant plus lourde que les fautes antécédentes seront plus graves, comme le montre bien l’exemple de l’adultère. Mais la réparation sera moins longue en fonction de l’intensité de l’amour. Plus l’amour sera intense, plus vite sera rétablie l’harmonie. En fait, ce qui répare l’amour blessé ou offensé, c’est toujours l’amour. Le purgatoire, vous l’avez compris, est l’état de souffrance où les pécheurs défunts, en acceptant cette souffrance par amour, peuvent réparer le mal qu’ils ont accompli ici-bas.

Réparer par amour

Une autre manière d’approcher ce qu’est le purgatoire commence par la perception de la « communion des saints ». Notre salut n’est pas qu’une affaire individuelle. Tout au long de nos vies, Dieu nous offre des grâces qui visent à notre propre sanctification, mais qui ont aussi un impact pour les autres. En refusant des grâces, nous en avons privé d’autres personnes. Nous verrons au moment de la mort que notre égoïsme et notre tiédeur ont conduit d’autres à moins de ferveur. Notre sainteté aurait permis que la grâce de Dieu les atteigne beaucoup plus profondément. Par notre faute, ils se débattent encore dans leurs péchés(7).

Dès lors, l’âme jugée n’a qu’une envie : réparer ! Pour cela, elle veut mériter des grâces pour les autres par une offrande d’elle-même dans la souffrance d’amour. Cette souffrance provient surtout du fait qu’elle est unie à Dieu, mais sans pouvoir encore le voir face à face.
Le purgatoire est donc cet état où, dans l’amour, les âmes vivent quelque chose de l’offrande que les saints accomplissent sur la terre(8).

Purification mystique

La souffrance du purgatoire est décrite par certains saints (notamment Catherine de Gènes. 1447-1510) comme une purification mystique. Tous les mystiques (Saint Jean de la Croix, Sainte Thérèse d’Ávila, etc.) décrivent bien les nuits et les purifications nécessaires pour approcher de Dieu. Au purgatoire, l’union à Dieu est vécue. Elle est bien plus profonde que celle des plus grands mystiques, car elle est absolument irrémédiable : les âmes du purgatoire sont sûres d’être sauvées. Elles ont donc un amour très intense pour Dieu. Elles ne peuvent plus pêcher, elles n’ont plus la faiblesse, ou plutôt, le défaut de pouvoir négliger l’amour divin. Elles sont dans la souffrance tout en acceptant volontairement cet état parce qu’elles savent que cela va les conduire à une sainteté leur permettant de voir Dieu.
Nous pouvons avoir dès cette vie des avant-goûts du purgatoire, des moments où nous supportons avec amour les épreuves et nous sommes purifiés par cet amour(9).

Dieu fera justice

Parmi les grandes attentes de tous ceux qui ont subi de grandes injustices, il y a l’espérance que justice soit faite. Ce serait ignoble si l’histoire prenait fin et que Dieu fasse miséricorde en « passant l’éponge » comme si de rien n’était. « À la fin, au banquet éternel, les méchants ne siégeront pas indistinctement à table à côté des victimes, comme si rien ne s’était passé » (Spe salvi 44). Pour que la miséricorde divine ne soit pas en opposition avec la justice, il faut, avant l’introduction dans la béatitude, un temps intermédiaire où justice soit faite. Les bourreaux pourront et devront réparer au purgatoire le mal qu’ils ont infligé. Les souffrances qu’ils vont assumer volontairement serviront à réparer le malheur qu’ils auront répandu sur terre. Pour eux aussi, plus leur repentir sera profond et intense, plus sera court leur purgatoire ! Au Ciel, leurs victimes se réjouiront de leur conversion réelle.

L’état des âmes au purgatoire

Paradoxalement : souffrance et joie cohabitent. Souffrances parce qu’elles sont purifiées par un feu (d’amour) qui consume leurs imperfections. Cette souffrance est souvent présentée comme un désir amoureux intense de voir Celui qu’elles pressentent, mais qu’elles ne peuvent voir encore.

Joie parce qu’elles veulent cette purification. Elles en comprennent (enfin) la nécessité. Elles sentent aussi la présence de Dieu (elles sont unies à lui, autant et même plus que nous ici-bas), même s’il n’est pas encore visible. Elles ont aussi la joie de l’espérance, elles attendent avec la certitude que Dieu viendra à leurs secours. Mais elles souffrent de ne pas le voir. Elles sont brûlées par ce désir de voir Dieu qui n’est distrait par rien (pas d’internet au purgatoire !)

Comment éviter le purgatoire ?

Si nous étions moins oublieux de la pression d’amour que Dieu exerce sur nous, je pense que nous ne nous poserions pas cette question. Mais voilà, il faut bien reconnaître que dans nos vies, tout n’est pas parfait. Même si notre choix fondamental est de suivre le Seigneur, il peut y avoir de la poussière qui recouvre ce choix.

Accueillir la miséricorde

Sainte Thérèse de Lisieux qui voulait absolument aller au Ciel en direct, a découvert une nouvelle manière d’éviter le purgatoire :

Afin de pouvoir contempler ta gloire
Il faut, je le sais, passer par le feu (1Co 3,13-15)
Et moi je choisis pour mon purgatoire
Ton Amour brûlant ô Cœur de mon Dieu !
Mon âme exilée quittant cette vie
Voudrait faire un acte de pur amour
Et puis s’envolant au Ciel sa Patrie
Entrer dans ton Cœur sans aucun détour (Poésies 23, Au Sacré-Cœur de Jésus)

Autrement dit, chaque fois qu’elle se découvrait en faute (impatience, inattention, distraction, etc.), elle se présentait humblement à Dieu, lui demandant de brûler ces fautes par sa Miséricorde. Cette pratique exige une attention constante à soi-même et à la Miséricorde divine.

Elle nécessite aussi un effort étonnant sur lequel elle revient plusieurs fois dans ses écrits : Ne pas se justifier. Or si nous regardons le cours de nos pensées, nous nous apercevons que nous pouvons passer bien des heures chaque jour, à nous justifier intérieurement (puis extérieurement parfois) devant nous-mêmes ou devant un interlocuteur imaginé. Si je me justifie, je ne me considère pas en faute, je n’ai pas besoin de miséricorde, je ne demande que la justice. Si au contraire, je me reconnais pécheur, et qu’humblement je demande pardon, alors j’ouvre mon cœur à la grâce (gratuite !) de la miséricorde.

Dans cette optique, le bon larron est un exemple particulièrement éclairant. Sur la croix, il ne se justifie pas, au contraire, il reconnaît qu’il a ce qu’il mérite. Il est condamné à mort par crucifixion, et il estime que c’est juste ! Son passé devait être vraiment lourd ! Pourtant, avec une foi étonnante, il s’ouvre à la miséricorde divine en demandant à Jésus : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras comme roi » (Luc 23,42). Il ne compte absolument pas sur la moindre de ses œuvres, il attend le don gratuit du salut. Et Jésus, voyant l’intensité de son humble amour, lui répond : « Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis ».

Peut-être devrions-nous nous entraîner à ne pas nous justifier ?

Confession fréquente

Autre pratique recommandée pour échapper au purgatoire : la confession fréquente. Chaque confession est comme une anticipation de notre propre jugement particulier. Nous y sommes jugés selon une sentence de miséricorde. Nos péchés y sont réellement pardonnés par Dieu, et la pénitence donnée par le prêtre contribue puissamment à notre purification. Il est important de la faire avec ferveur sinon quelle réparation offrons-nous ?

La grâce d’une bonne mort

Pour échapper au purgatoire, il ne faut pas sous-estimer la grâce du moment de la mort. Cessons de voir Dieu comme un personnage froid et justicier. Il nous est répété bien souvent dans l’Évangile, qu’il est bon, qu’il est un Père plein de tendresse, qu’il prend plaisir à faire grâce. Ainsi au moment de la mort de chacun de ses enfants, il est sûr et certain qu’il déploie « tous ses charmes » pour attirer vers lui l’âme du mourant. Bien des aumôniers d’hôpitaux ou des prêtres chargés d’accompagner des mourants ont pu être témoins des prodiges de la grâce dans les dernières heures et les dernières minutes de la vie.

Nous n’avons aucune envie de passer par le purgatoire ! Dieu encore moins que nous ! Il a un immense désir de nous accueillir chez lui, dans sa demeure de gloire, pour jouir de nous, car il nous aime. Il est donc sûr qu’il prépare l’âme à la rencontre avec lui. Il tente de susciter en celui qui va mourir, les mêmes dispositions étonnantes que celles du bon larron : humble reconnaissance du péché, et remise de soi au sauveur, à l’heure même du dépouillement suprême. Pouvoir nous donner complètement, sans le moindre égoïsme, est une grâce de Dieu. Pourquoi ne la proposerait-il pas à chacun de ses enfants au moment le plus important de sa vie ?

À longueur de vie, nous demandons avec insistance à la Vierge Marie de prier pour nous « à l’heure de notre mort », il est bien évident qu’elle le fait. Elle entoure les mourants de son affection et de sa prière maternelles. Elle prépare l’âme au grand passage, comme, je l’imagine, une maman annonce comme elle peut à son enfant encore dans son ventre qu’il va bientôt naître.

Depuis toujours, les chrétiens prient pour obtenir la grâce d’une bonne mort, avec notamment, la possibilité de recevoir le sacrement de réconciliation juste avant ainsi que l’indulgence plénière à l’heure de la mort (cf. suite). Il est aussi important que les proches entourent le mourant par leur prière et leur affection.

Comment aider les âmes du purgatoire ?

Le texte de l’Ancien Testament (2 Ma 10,42-43) lu plus haut énumère déjà : prière et sacrifices. La tradition de l’Église a ajouté aussi l’indulgence.

1. Prières

De nombreuses prières pour les âmes des défunts existent. Les voyants de Fatima ont ajouté celle-ci devenue courante, à la fin de chaque dizaine de chapelet :

Ô mon Jésus, pardonne-nous nos péchés, préserve-nous du feu de l’Enfer, et conduis au Ciel toutes les âmes, surtout celles qui ont le plus besoin de ta miséricorde.

2. Messes

Depuis toujours, les chrétiens ont voulu insérer leurs intentions dans la grande prière de notre Grand prêtre : le Christ. Pour cela, la pratique de demander à un prêtre de célébrer une messe pour une intention particulière s’est répandue. Cette demande nécessite bien sûr que le solliciteur s’engage réellement dans cette messe, offrant sa personne avec le Christ, tout en suppliant Dieu d’exaucer un désir. Pour que cette offrande ne reste pas une simple idée « en l’air », l’usage s’est généralisé d’une offrande matérielle apportée au prêtre, d’abord des dons en nature, ensuite des honoraires de messe. C’est aussi une manière de subvenir aux besoins de ceux qui ont donné leur vie pour l’annonce de l’Évangile.
Aujourd’hui, cette pratique est en baisse, elle reste pourtant un moyen privilégié de confier à Dieu une intention qui nous habite et d’assurer une rémunération décente aux prêtres. On peut demander de célébrer une messe pour le repos de l’âme d’un défunt, mais aussi pour une réconciliation, pour la paix, pour ses enfants, pour un couple en difficulté ou quelqu’un dans la tentation, etc. (On ne célèbre pas de messe contre quelqu’un, comme cela me l’a été demandé un jour !)(10)

3. Indulgence

L’indulgence est une donnée assez difficile à saisir. Elle se tient au croisement de plusieurs vérités de foi : la communion des saints (j’en ai parlé plus haut), la notion de peine due pour les péchés (j’en ai aussi parlé plus haut), du pouvoir des clés (cf. Mt 16, 19 : « Je te donnerai les clés du Royaume des cieux ») et du trésor des mérites des saints.

Pour vous éviter un cours de théologie difficile, je préfère rappeler succinctement l’histoire qui a fait apparaître cette pratique de l’indulgence.
En Afrique du Nord, au troisième siècle, des persécutions antichrétiennes font rage. Mais parfois, le meurtre de l’empereur régnant permet une libération inespérée des chrétiens emprisonnés et torturés pour leur foi. Dès lors, ils jouissent d’un prestige immense parmi les chrétiens. Par miséricorde, ils avaient pris l’habitude de délivrer à leurs coreligionnaires qui avaient apostasié des libelli pacis (bulletin de paix), c’est-à-dire des actes de pardon. Ces bulletins pouvaient être ainsi rédigés : « Moi untel, qui ai tant souffert pour la foi, je demande l’indulgence pour mon frère untel qui a apostasié ». Et donc, en vertu des souffrances subies par amour par le confesseur(11), on remettait à l’ancien apostat la pénitence qui lui avait été demandée s’il voulait réintégrer la communauté. Ce principe était très beau, mais assez difficile à canaliser, car on peut avoir confessé la foi, mais ne pas avoir beaucoup de jugement pour éduquer les âmes. Il est arrivé que des confesseurs de la foi remettent un bulletin de paix à des pénitents qui ne le méritaient pas et qui réintégraient l’Église sans une véritable contrition, parfois par intérêt, une fois la persécution finie. Quelquefois, un commerce s’est même mis en place pour vendre et acquérir ces bulletins. Pour remédier au scandale, le grand Saint Cyprien n’a pas supprimé cette tradition, car bien vécue, elle restait admirable. Mais il a réaffirmé l’unité de l’Église et la communion autour de l’Évêque, pôle d’unité de l’Église. C’était à ce dernier seulement de juger si l’indulgence pouvait être accordée à un apostat repentant en vertu des mérites des confesseurs.

Par la suite, on a pris conscience que l’Église pouvait disposer, non seulement de la valeur des souffrances endurées par les chrétiens encore vivants, mais aussi du trésor spirituel amassé par tous les actes d’amour du Christ, de la Vierge et de tous les saints. C’était au pape et aux évêques de distribuer ce trésor, moyennant certaines dispositions.

Voici donc une définition de ce qu’est l’indulgence :

L’indulgence est la rémission devant Dieu de la peine temporelle due pour les péchés dont la faute est déjà effacée, rémission que le fidèle bien disposé obtient à certaines conditions déterminées, par l’action de l’Église, laquelle, en tant que dispensatrice de la rédemption, distribue et applique par son autorité le trésor des satisfactions du Christ et des saints. (Catéchisme 1471)

« L’indulgence est partielle ou plénière, selon qu’elle libère partiellement ou totalement de la peine temporelle due pour le péché ». Les indulgences peuvent être appliquées aux vivants ou aux défunts. (Catéchisme 1471)

Pour obtenir l’indulgence, il faut réaliser trois conditions, une nécessité, une œuvre

Trois conditions : Confession récente, communion eucharistique et prière aux intentions du pape.

Une nécessité : Que soit exclue toute affection à tout péché même véniel. (Ce qui n’est pas évident du tout. Mais il est probable que l’ultime préparation à la mort procure un entier détachement de toutes les vanités de ce monde, et mette ainsi dans les dispositions nécessaires à l’obtention de l’indulgence plénière — ce qui exclue ensuite le purgatoire !)

Une œuvre à accomplir : De plus, avec ces conditions et cette nécessité, il y a une œuvre à accomplir : pèlerinage, visite à des malades ou à des prisonniers, etc. Sauf, bien évidemment, pour l’indulgence plénière à l’heure de la mort.

Conclusion

Le purgatoire, même s’il est un état de souffrance, demeure une miséricorde de Dieu puisqu’il permet, en cette ultime étape, à ceux qui sont sauvés, mais qui n’ont pas vraiment assumé le mal qu’ils ont fait sur la terre, de réparer ce qui a été abîmé par leurs péchés antérieurs. Je rappelle que c’est l’intensité de l’amour (pour Dieu et/ou pour le prochain) qui fait la valeur de la réparation. Ainsi, Sainte Thérèse de Lisieux tenait beaucoup(12) à ce que l’on raconte l’histoire suivante :

Il est rapporté dans la vie des Pères du désert, que l’un d’eux convertit une pécheresse publique, dont les désordres scandalisaient une contrée entière. Cette pécheresse, touchée de la grâce, suivait le Saint dans le désert pour y accomplir une rigoureuse pénitence, quand, la première nuit du voyage, avant même d’être rendue au lieu de sa retraite, ses liens mortels furent brisés, par l’impétuosité de son repentir plein d’amour, et le solitaire vit au même instant son âme portée par les anges dans le sein de Dieu.

Dieu n’attend rien d’autre que notre amour, notre amour intense.

* * *

Notes :

(1) Vatican II, Dei verbum 2.
(2) Ibid, 8, cf. Jn 16,13.
(3) Maria SIMMA, Derniers témoignages de Maria Simma, Rassemblement à Son Image, Onet le Château 2013. Les révélations de Maria Simma sont intéressantes lorsqu’elle parle du purgatoire, mais elle reste à lire avec prudence. Elle avance parfois des assertions presque loufoques. Maria Simma n’est pas canonisée, et l’Église ne s’est jamais engagée quant à ses révélations.
(4) Un Mystère dans la théologie catholique n’est pas quelque chose d’incompréhensible, mais une réalité qui nous est révélée par Dieu et que nous n’aurons jamais fini de comprendre.
(5)« La rouille n’est pas un reste de péché, une disposition mauvaise de la volonté qui serait l’effet en l’âme des péchés qu’elle a commis durant sa vie terrestre ; c’est une souillure de l’âme, un manque de perfection, suite des péchés d’autrefois, dont la volonté s’est totalement détachée au moment de la mort. Le feu consume progressivement cette rouille et ainsi l’âme se découvre de plus en plus à l’influx divin ». Catherine de Gènes, Traité du purgatoire, 2.
(6) On appelle la peine due au péché, peine temporelle, par opposition à la peine éternelle qui est l’enfer.
(7) Nos existences sont en profonde communion entre elles, elles sont reliées l’une à l’autre au moyen de multiples interactions. Nul ne vit seul. Nul ne pèche seul. Nul n’est sauvé seul. Continuellement la vie des autres entre dans ma vie : en ce que je pense, dis, fais, réalise. Et vice-versa, ma vie entre dans celle des autres : dans le mal comme dans le bien. Benoît XVI, Spe salvi, 48.
(8)Jean-Miguel Garrigues, A l’heure de notre mort — Accueillir la vie éternelle, Édition de l’Emmanuel, 2002, 165. Je recommande vivement ce petit livre : il met très bien en valeur les données traditionnelles de la foi tout en les présentant dans la lumière de la miséricorde de Dieu. Il aborde dans un style simple et clair les questions capitales de la maladie, de la souffrance, de la grâce finale, du jugement, du Ciel, du purgatoire.
(9) Ibid., 155.
(10) Les honoraires de messe sont fixés, à titre indicatif, par les évêques.
(11) On appelle confesseur, un chrétien (laïc ou prêtre) qui a confessé la foi, c’est-à-dire qui a souffert pour la foi.
(12) On pourrait croire que c’est que c’est parce que je n’ai pas péché que j’ai une confiance si grande dans le bon Dieu, dites bien, ma Mère, que, si j’avais commis tous les crimes possibles j’aurais toujours la même confiance, je sens que toute cette multitude d’offenses serait comme une goutte d’eau jetée dans un brasier ardent. Vous raconterez ensuite l’histoire de la pécheresse convertie qui est morte d’amour ; les âmes comprendront tout de suite, car c’est un exemple si frappant de ce que je voudrais dire, mais ces choses ne peuvent s’exprimer. (Carnet jaune 11 juillet)