peinture frère Vincent, trois femmes devant le tombeau ouvert

Rencontrer le Ressuscité



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Comment donc rencontrer le Ressuscité ?

Il n’y a rien de spécial à faire pour rencontrer le Ressuscité… ça ne se passe pas dans le « faire ». Il suffit de vivre sa vie de femme ou d’homme, semblent nous dire les Évangiles, et se laisser rencontrer par Celui qui est autre.
Marie-Madeleine et les autres femmes sont dans un surplus de peine qu’elles ont besoin d’exprimer, d’élaborer, dans les derniers gestes de vénération du corps : qui le leur reprochera ? Elles sont submergées par leurs émotions, par leur affectivité écorchée dans les événements dramatiques de la Passion. Elles vivent leur vie de femmes face à la mort.
Les Apôtres sont cachés par peur de subir le même sort que le Maître, ils se savent en danger, ils ont vu la colère des autorités : qui le leur reprochera ? Eux aussi sont submergés par leurs émotions, d’autres émotions, et ils sont eux aussi écorchés par la manière dont s’est terminée ce fantastique compagnonnage avec Jésus. Ils vivent ce que vivent les hommes face à la violence.

Matthieu 28 : Recevoir d’un autre, Dieu a l’initiative

Les femmes viennent pour « regarder le sépulcre ». C’est terrible de venir regarder un sépulcre… Pourtant c’est sans doute plus apaisant que ce qui habite leur imagination. Elles ont encore dans les yeux l’image horrible et horrifiante du Crucifié déchiqueté, elles qui n’avaient pas manqué de contempler la beauté de l’Époux quand elles marchaient à sa suite et écoutaient sa parole, s’enivraient de son enseignement. Sans doute leur cœur se prépare-t-il à être confronté au silence sépulcral, mortel, au mutisme d’un tombeau, signature de la fin de tout. Espérance vaine, en tout cas, qu’attendre d’un sépulcre une consolation, un discours comme ceux, merveilleux, qui parsèment l’évangile de St Matthieu. Ces femmes qui viennent regarder s’attendent à tout sauf à une voix.
Or elles sont surprises par l’irruption d’un « entendre », le tremblement de terre plus intérieur qu’extérieur ; puis une voix, une voix « angélique », une voix d’ailleurs, autant dire une intuition intérieure qui déplace. Le silence de la vision se transforme en message, en mission.
Entendre une fois, avec l’ange, ne suffit pas pour entrer totalement dans l’annonce. Il leur faut une deuxième fois, en chemin, avec le Ressuscité lui-même. Tout est très sobre. C’est le mystère de la vie qui surgit dans la Parole.
L’annonce des femmes aux hommes n’est pas rapportée. Mais la parole des femmes a fait son effet, peut-être à retardement. Eux aussi sont attirés par le voir. Mais le voir ne leur suffit pas pour croire vraiment. Ils doutent. Il leur faut deux fois à eux aussi. La parole des femmes ne suffit pas plus aux hommes que celle des anges aux femmes. Jésus leur adresse la parole personnellement. Parole créatrice.
Les femmes reçoivent l’annonce de l’ange. Les hommes reçoivent l’annonce des femmes. Étonnante docilité, d’ailleurs, selon St Matthieu, qu’on ne retrouve pas toujours chez les autres évangélistes.

Comment transposer dans notre vie ? Il s’agit d’ouvrir les oreilles intérieures. Nous sommes pris par notre imaginaire, parfois plus ou moins morbide. Nous cherchons à regarder des sépulcres pour nous distraire de nos peines. Parce qu’on ne le voit pas, le Christ nous semble un homme d’hier, dont la voix a pour ainsi dire fini de résonner.
Nous laisserons-nous surprendre par la voix de nos frères et sœurs qui nous disent l’avoir entendu et vu sur leurs chemins ?

Marc 16 : Se laisser surprendre, tirer de la mort, de la paralysie

Les femmes viennent avec leur « radio » intérieure, ce brouhaha qui nous accompagne, et tout autant avec la « radio » extérieure, puisqu’elles échangent sur leur préoccupation commune. Tout était prévu pour se retrouver dès que possible, faire ouvrir une parfumerie, partir ensemble. Enfin, presque tout : il y a tout de même un souci avec la pierre… Elles maîtrisent tout, sauf un horizon bouché. « Qui nous roulera la pierre pour dégager l’entrée du tombeau ? » Elles font le tour des solutions possibles. Et ça parle, ça parle beaucoup à propos de ce pourquoi elles viennent et qu’elles ne pourront pourtant pas voir : le corps du Crucifié. Que viennent-elles donc faire avec ces parfums ? Peut-être aimeraient-elles réparer un peu la défiguration infligée au maître aimé ? Peut-être aimeraient-elles au moins lui rendre un visage d’homme, même s’il est mort ? Mais tout est bouché. Bouché par la pierre. Bouché par la tristesse. Bouché par l’impuissance.
« Levant les yeux » dit Marc : elles sont surprises par la vision inattendue. Ce n’est pas la parole qui surprend ici, comme chez Matthieu. C’est la vision. L’expression est connue dans la Bible. Elle ne désigne pas seulement un geste extérieur, mais un événement intérieur. Elles voient la pierre roulée, elles voient le tombeau vide, elles voient un « jeune homme » qui leur montre ce vide. Elles ressentent aussi leur vide intérieur : celui qu’elles cherchent n’est pas là. Qui est ce « jeune homme » ? En tout cas il est tout le contraire d’un cadavre : un jeune homme n’est-il pas signe de vie pour ces femmes ? Et le message pour les Apôtres est aussi l’annonce d’une vision : « vous le verrez »
Chacune est conduite à une sortie de soi : tout le monde est enfermé dans cette histoire, et l’irruption de la Vie fait peur. Elles en ont même la voix coupée : elles ne disent rien à personne. La vision a coupé la parole : elles ont été mises face à l’indicible. Finalement Marie-Madeleine se lance pour le dire aux Apôtres. Mais elle rencontre l’incrédulité. La parole n’a pas d’effet. Ni celle des deux disciples qui l’ont vu en chemin. Ils ne croient que quand ils voient Jésus à table avec eux. Et il leur est reproché de ne pas avoir cru ceux qui ont vu.

Pour rencontrer le Ressuscité dans notre vie, il s’agit d’ouvrir les yeux de notre cœur. Nous sommes pris par notre radio intérieure, et aussi beaucoup par le brouhaha extérieur. On entretient d’ailleurs toute cette distraction qui nous évite d’être face aux zones de vide intérieur. Le bruit nous empêche de voir la vraie vie à l’œuvre, de voir ce « jeune homme » dans nos tombeaux, qui indique le signe que la vie a jailli.
Lèverons-nous les yeux ? Remarquerons-nous le visage illuminé et entendrons-nous le témoignage de ceux qui ont vu ?

Luc 24 : Laisser agir les Écritures

Qu’est-ce qui pourrait nous aider à ouvrir les oreilles pour entendre ? Et nous aider à ouvrir les yeux pour voir ? Saint Luc peut nous indiquer une piste. On recommence la même histoire. Et pourtant l’histoire est encore un peu différente… Il y a plus de monde : un groupe de femmes, deux hommes resplendissants.
Le déclic cette fois-ci ne vient ni de la parole, ni de la vision, ou du moins pas directement. C’est la mémoire qui est convoquée : « Rappelez-vous ce qu’il vous a dit… Elles se rappelèrent les paroles » L’intelligence est illuminée. Il y a une rencontre entre l’événement présent et la parole enregistrée dans le passé et rappelée.
Il se passe le même scénario pour les disciples sur le chemin d’Emmaüs, avec en plus le geste de la fraction du pain, geste si personnel à Jésus. La mémoire de la parole se joint à la mémoire de la vision.
Et ensuite il en va de même pour les Apôtres réunis : mémoire de la Passion, avec le signe des plaies ; et mémoire des paroles, ainsi que de tout ce qui est dans les Écritures. C’est parce que les Écritures et Jésus ont dit ce qui allait se passer que les oreilles peuvent entendre, que les yeux peuvent voir.

Dans notre vie, l’Évangile nous invite à ouvrir notre intelligence, pour nous mettre à l’école du Christ, l’entendre dans les Écritures. Il s’agit de lire les Évangiles, lire les Prophètes, avec foi en Dieu qui parle et agit dans cette écoute, même si sur le moment on ne sent pas. Croire permet de comprendre, et comprendre permet d’entendre et de voir quand le Ressuscité se présenter sur nos routes à travers d’autres personnes, ou des événements, ou des intuitions.
Prendrons-nous le temps de cette intimité avec la Parole de Dieu pour qu’elle nous façonne ?

Jean 20 : Reconnaître une relation

Tout ce que nous avons dit avec les trois premiers évangélistes n’est pas encore suffisant pour qu’advienne la reconnaissance et la rencontre. Jean, le dernier à écrire un Évangile pour le transmettre, reprend encore ces événements, et en particulier les événements centraux de l’apparition aux femmes et aux Apôtres. Il est très précis, factuel. Le récit est encore un peu différent des autres. Une sorte de préséance est donnée à Jean : « il vit et il crut ». La vision le conduit à croire, cependant il ne rencontre pas : il commence juste à comprendre les Écritures.
C’est avec Marie-Madeleine qu’est rendu manifeste l’élément central. Elle voit quelque chose, elle entend la voix des anges, elle se laisse interpeller, mais elle reste enfermée dans sa peine, dans ses larmes. Puis il y a deux étapes. D’abord un retournement. Il est extérieur, certes : elle quitte le tombeau, lieu de la mort, pour se retourner vers le jardin, lieu de la vie. Mais c’est aussi un mouvement intérieur, une conversion qui lui permet d’apercevoir quelqu’un qu’elle n’avait pas vu, d’entendre plus clairement une parole et son sens profond : « qui cherches-tu ? ». C’est surtout la deuxième étape qui est importante : le nom prononcé. Ce qui fait la rencontre, c’est que Marie reconnaît une relation. Elle n’a pas reconnu le visage. Elle n’a pas vraiment compris la parole. Elle ne s’est pas rappelée les Écritures. Mais elle perçoit et reconnaît la relation qu’elle a eue avec celui qu’elle cherchait.
N’est-ce pas ce qui se passe aussi pour les Apôtres, le soir, pour Thomas la semaine suivante, et de nouveau pour le groupe des Apôtres en Galilée sur le bord du lac : Jésus les replonge dans la relation avec lui. Ils reconnaissent leur maître à ses blessures, à sa vie donnée. Reconnaissance du cœur avant tout et plus que tout. Ils reconnaissent sa manière de faire : être là, au milieu d’eux, donner la paix, donner l’Esprit, donner la fécondité de la pêche, donner sa confiance et son amour.

Dans notre vie, rencontrer le Ressuscité nous met face au défi d’ouvrir notre cœur. Il ne s’agit pas tant de toucher comme Thomas, mais surtout se laisser toucher comme Marie-Madeleine ou Jean. Il s’agit de reconnaître une intimité nouée, partagée, à laquelle on a pris le temps de s’ouvrir, et que l’on a approfondie, construite.
Prendrons-nous ce temps de cette intimité pour que le Seigneur se révèle à nous et nous habitue à sa présence ?

La messe dominicale : lieu principal de l’apparition

Tout cela s’est passé le premier jour de la semaine, le dimanche. Les Apôtres étaient réunis tous ensemble. La messe dominicale, célébration hebdomadaire de la Résurrection du Seigneur, est le premier et le principal lieu d’apparition. C’est là que le Seigneur nous éduque, le rendez-vous donné par le Christ pour qu’il puisse agir en nous par son Esprit. Elle nous entraîne et nous renvoie à notre vie.
On se déplace vers le lieu d’une présence promise du Ressuscité, parce qu’on a entendu dire qu’il se manifeste là.
On se rassemble au nom du Christ qui a promis sa présence. La plupart des rencontres du Ressuscité sont une expérience commune à plusieurs.
On entend, on écoute la Parole, encore une fois, pour croire, enfin.
On voit le signe du pain et celui de l’autel, apparemment vide comme le tombeau, et pourtant prêt pour la venue.
On entre en relation avec le Père, le Fils, l’Esprit Saint, et on touche le Corps du Ressuscité.
– Et puis il y a la disparition pour une intériorisation : le pain est rompu, il est mangé. Christ vit en nous pour que nous devenions témoins de sa Présence.

Avec la résurrection, tout commence. Avec la messe aussi.

« Tu as changé mon deuil en une danse » (Ps 29, 12)