Portrait de fr Luigi

Sainteté et humanité



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Nous publions ici une homélie de notre frère Luigi Gioia, donnée à Maylis le dimanche 24 août 2014, XXIe dimanche du temps ordinaire de l’année A, à partir de Rm 11, 33-36, texte cité plus bas. Elle montre comment nous sommes appelés par Dieu à paraître devant Dieu avec toute notre humanité, sans craindre les ombres qui nous habitent parfois. Cette vérité sur nous-mêmes est un authentique chemin de sainteté.

1. Il y a une expérience commune et douloureuse dans la vie monastique : souvent après 1, 5, 10 années de vie monastique on se demande si au lieu de grandir on n’est pas en train de reculer, en se découvrant :

  • exposés aux mêmes tentations
  • accablés par la même jalousie, les mêmes frustrations, les mêmes anxiétés
  • et même en se trouvant, de façon inattendue, la proie nouvelles crises, de nouvelles insécurités
  • et en voyant que même la foi, même la prière n’échappe pas à cet effritement

2. et si on prend la vie de couple le constat est souvent plus ou moins le même

  • aimer l’autre, l’accepter dans ce qu’il est peut devenir de plus en plus difficile
  • on a plus de mal à se donner – on se trouve plus “égoïste”, plus “paresseux”
  • on s’était cru capable de tout endurer par amour pour l’autre – on se découvre plutôt indolents, anxieux, manquant de confiance en soi, etc.
  • on n’a pas de patience avec les enfants

3. Quel est le sens vrai de cette impression non pas d’avancer, mais de reculer ? Comment Dieu reste fidèle ?

4. C’est la douloureuse question de notre humanité et de notre foi qui se trouve derrière le cri de Paul de la deuxième lecture :
Rm 11, 33-36 : Quelle profondeur dans la richesse, la sagesse et la science de Dieu ! Ses décisions sont insondables, ses chemins sont impénétrables ! Qui a connu la pensée du Seigneur ? Qui a été son conseiller ? Qui lui a donné en premier, et mériterait de recevoir en retour ? Car tout est de lui, et par lui, et pour lui. À lui la gloire pour l’éternité ! Amen.

5. Cela parait beau, admirable – un cri de joie. Mais en fait ce cri se détache sur un fond de grande souffrance et de douleur :
Rm 9, 2 : J’éprouve une grande tristesse, et j’ai dans le cœur un chagrin continuel.

6. Le sens vrai de ce cri ne se comprend qu’à la lumière de tout le contexte de la lettre aux Romains

  • et en particulier de son thème principal : comment ne pas avoir honte de l’Évangile,
  • c’est-à-dire comment ne pas céder à la déception, à la désillusion, au cynisme même face à l’aspect insondable, impénétrable de la manière dans laquelle Dieu agit dans l’histoire en général,
  • mais en particulier dans chacune ce nos vie

7. C’est bien en effet dans cette épître que Paul doit faire deux confessions douloureuses :

  • il ne comprend rien à la manière dont Dieu agit vis-à-vis de son peuple, c’est-à-dire de ce qu’il a de plus cher – et dans l’histoire.
  • Il ne comprend rien à la manière dans laquelle Dieu agit dans sa propre vie !
  • Il arrive à dire “Que je suis malheureux ! Je me faisais tellement d’illusions par rapport à la puissance de la grâce de Dieu et j’en suis réduit toujours au même constat : je n’arrive pas a faire le bien que je veux et je ne peux pas m’empêcher de faire le mal que je ne veux pas !” (Cf. Rom 7, 14-25)

8. Combien ne voudrions-nous pas avoir une compréhension de l’histoire en général et de notre histoire en particulier – et le plus souvent n’y comprenons plus rien.

9. Combien ne voudrions-nous pas faire cadeau au Seigneur d’une humanité enfin belle et pure!

  • Combien ne voudrions-nous pas parvenir lui offrir nos corps, nos âmes et nos esprits en sacrifices qui lui soient agréables
  • Notre vie monastique – en sacrifice qui lui soit agréable, c’est-à-dire en un cadeau qui soit vraiment beau, rond et bien ficelé
  • Notre vie de couple – en sacrifice qui lui soit agréable

10. Notre problème est en ceci : notre conception de ce qui est agréable à Dieu, de ce qui plaît à Dieu, de ce que Dieu aime

  • c’est au fond ce qui est agréable à nous-même
  • à l’image que nous voudrions aimer et donner de nous-même
  • alors que c’est précisément ici, dans cette image idéalisée, irréelle, de nous-même, dans le devoir arbitraire que nous nous donnons de nous y conformer qu’est la source de toutes les frustrations, les culpabilités, les craintes, les peurs, les anxiétés, les angoisses
  • Car nous ne pouvons nous conformer à ce portrait arbitraire qu’au prix d’une réduction, d’une amputation de notre humanité authentique – avec ses contradictions, ses aspects non-maîtrisables, les obscurités…

11. Pensez-y, je le demande au parents, pensez-y : qu’est-ce que vous aimez de vos enfants ?

  • Seulement leur coté gentil ?
  • Seulement ce qui en eux correspond à ce que vous attendez d’eux, vous rêvez pour eux ?
  • Si tel est le cas, vous le savez bien, alors il y a un problème.
  • Mais vous savez bien qu’en réalité vous aimez vos enfants pour eux-mêmes, pour ce qu’ils sont. Et curieusement vous vous découvrez à aimer davantage leurs faiblesses et leurs limites, et à les entourer davantage justement quand il sont plus vulnérables

12. Et Dieu alors ? Quelle partie de nous Dieu aime ? À quelle partie de nous veut-il se donner? Savez-vous ce que dit Paul à ce sujet dans la lettre aux Romains ?
C’est quand nous étions sans forces – pécheurs – ennemis que Dieu s’est donné pour nous! (cf. Rom 5, 6-10)

13. Rien ne manifeste davantage la maturité de notre foi, de notre confiance dans le Seigneur, rien ne manifeste davantage combien vraiment nous avons à faire au Dieu véritable, et non pas à l’une de nos projections de Dieu, l’une de nos idoles que ceci :

  • n’avoir peur de rien de ce que nous sommes
  • ne permettre que rien, qu’aucun aspect de notre humanité soit laissé de côté dans notre relation avec Dieu

15. Le signe même d’une foi adulte, le degré même de notre authenticité tant humaine que spirituelle se mesure uniquement à ceci : jusqu’à quel point autorisons-nous toute notre humanité, toutes nos pulsions, toutes nos contradictions, nos angoisses, nos peurs, à s’exprimer dans notre relation au Seigneur et dans notre vie ?

16. Bien sûr, ce ne sera pas toujours beau à voir, beau à ressentir, beau à expérimenter, agréable pour les autres.

17. Mais, pensez-y :

  • ce sera vrai
  • ce sera libérant
  • ce sera la seule voie vers une intégration pleine de notre humanité
  • vers l’accès à un certain degré au moins d’authenticité

18. Et ne pensez-vous pas que ce que Dieu aime est justement ceci ?

  • Que nous soyons vrais, entiers en sa présence
  • tant pis s’il sera difficile après de mettre ce qui en sort dans une niche ou bien si cela posera des problèmes lors de notre procès de canonisation…

19. Mais ce sera alors que nous aurons eu accès à la sainteté vraie, celle dont parle Paul :

  • celle de l’espérance contre toute espérance qui ne trompe pas, parce que l’amour de Dieu ne cesse de couler sur nous en abondance et sans mesure (cf. Rom 5, 5)
  • celle de l’Esprit qui vient en aide à notre faiblesse, car nous ne savons pas prier (cf. Rom 8, 26), ni à plus forte raison faire le bien que nous voudrions (cf. Rom 7, 15)
  • celle enfin, et surtout, de la foi qui nous donne une assurance inébranlable que « ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni les choses présentes ni les choses à venir » (Rom 8, 38),
  • ni nos angoisses, nos contradictions, nos incapacités, notre paresse, notre découragement, ni nos pulsions, ni nos tendances sexuelles
  • « ni aucune autre créature, RIEN ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur. » (Rm 8, 39)