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Le martyr de St Bernard Tolomei
Chaque 19 août, nous fêtons l’entrée dans la gloire du ciel de notre fondateur, St Bernard Tolomei. Il est mort le 20 août 1348, durant la grande peste, ou peste noire, qui a ravagé l’Europe, en soignant ses frères du monastère de Sienne, atteints par la pandémie. Voici l’homélie donnée en 2022 à l’occasion de la solennité. Les lectures de la messe sont les suivantes : Gn 12, 1-4 ; Ph 2, 12-18 ; Jn 15, 9-17
Un témoignage d’amour
Nous célébrons aujourd’hui le martyr d’amour du fondateur de notre Congrégation monastique. La pandémie de peste noire ravageait les villes d’Italie. Il a mis sa propre vie en danger d’une mort quasi certaine pour accompagner ceux de ses frères qui étaient confrontés à cette maladie mortelle, contre laquelle on n’avait aucun moyen de lutter. On admire, on loue le choix qu’il a fait à leur service, par amour pour eux. Le discernement n’allait pas de soi.
Il lui a bien sûr fallu aller à contre-courant de son instinct de survie pour affronter ainsi la mort. Mais cela n’a probablement pas été le seul obstacle. Peut-être cet homme de 76 ans, au XIVe siècle, se considérait-il d’ailleurs comme un grand vieillard, arrivé de toute façon aux portes de la mort. Il y a sans doute eu une autre cause de dilemme, qui n’impliquait pas que lui.
Laisser les frères de Monte Oliveto, plus protégés de l’épidémie que ceux de Sienne, n’a pas dû remporter l’unanimité. Peu de temps auparavant, les frères avaient rédigé et signé l’acte de confiance qui témoignait de leur amour humble et sincère, et même de leur vénération envers l’abbé Bernard. Sa présence était leur réconfort. Fallait-il vraiment qu’il quitte ses frères à l’heure de l’épreuve ? Fallait-il vraiment qu’il laisse les frères sains, mais tout de même éprouvés, pour se faire solidaire des frères malades, jusqu’à y laisser la peau ? La congrégation n’avait-elle pas besoin de lui, justement au moment où elle était décimée, pour traverser la grande épreuve ?
Un acte de foi
Le martyr de la charité de notre père Bernard s’est enraciné dans un acte de foi. À l’heure de cette grande épreuve de l’épidémie de peste qui ravageait l’Italie, il n’était probablement pas évident de penser que le plus grand amour serait d’aller auprès des malades. Le discernement de l’intendant fidèle aurait pu consister à sauver ce qui pouvait être sauvé. Pour prendre soin de ses brebis, le berger aurait légitimement pu choisir de rapatrier le maximum de frères à la campagne, à Monte Oliveto, de rassembler la communauté en sûreté. À l’image d’Abraham, Bernard a choisi le départ. Il est parti. Il a laissé le troupeau sain pour rejoindre les brebis malades, être à leur côté, mourir avec elles. Il a eu foi en Dieu présent à son troupeau pour en prendre soin.
Le choix de Bernard manifeste sa foi autant que son amour. Il ne s’est sûrement pas contenté de se dire que sa vie était de toute façon sur le point de terminer, ni peut-être qu’il en avait assez, car il avait pour ses frères sains le même amour que pour ses frères malades. Mais il croyait que Dieu était présent à ses frères, à sa communauté. Et malgré toute l’estime que l’on avait pour lui, il ne s’est pas jugé indispensable au bien du troupeau qui lui était confié. Il ne s’est pas cru nécessaire pour aider ses frères à traverser l’épreuve. Il se savait être seulement le représentant du vrai Berger à l’œuvre dans son troupeau. Il a eu foi en sa présence fidèle qui fait traverser toute mort.
Un message d’espérance
Le martyr, nous le savons, est littéralement un témoignage. Le martyr de St Bernard, témoignage d’amour, est donc un témoignage de foi. Mais il est aussi un témoignage d’espérance, à l’heure où la mort frappait durement ce qui avait été l’œuvre de sa vie. St Benoît invite l’abbé à enseigner par son exemple avant de le faire par ses discours. Quel ultime message sur son projet monastique St Bernard a-t-il désiré nous offrir ? Quel message d’espérance a-t-il voulu laisser ?
Peut-être nous dit-il que de toute situation extérieure apparemment désespérée – ou en tout cas désespérante – on peut faire un sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu. Par son choix, Bernard a transformé l’œuvre de mort de la pandémie de peste, en un acte d’amour et de vie. Non seulement il n’a pas fui devant l’épreuve, mais il a choisi de l’embrasser pour qu’elle devienne source de vie. Il a été par amour au-devant de la mort, pour y porter la vie, la vraie Vie. Il a vécu la communion avec ses frères jusque dans leurs ultimes moments, jusqu’à communier à l’implacable fléau de la peste.
À l’image du Christ, il a donc aimé les siens jusqu’au bout. Il nous apprend ainsi à voir au-delà de nos morts. Gageons que son sacrifice a été reçu par le Seigneur, puisque son espérance n’a pas été confondue. Une fois passée la pandémie, notre famille monastique a connu une très rapide efflorescence, alors qu’elle avait pourtant été privée de la moitié de ses membres durant la pandémie. Et, ce qui est plus miraculeux, la fécondité numérique a été accompagnée d’une grande ferveur religieuse sur une longévité assez remarquable pour l’histoire monastique.
Un témoin pour notre temps
Face aux difficultés que rencontre notre Église aujourd’hui, face à la précarité de nos communautés, puissions-nous être fidèles à l’exemple d’espérance, de foi, et de charité que nous a laissé St Bernard.
Pour mieux connaître la vie de St Bernard Tolomei : Bernardo Tolomei, notre frère et père