frere Loic

Décès de notre frère Loïc



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Le mercredi 10 mars dans l’après-midi, notre frère Loïc nous a quittés, non pas en 2 CV, rassurez-vous, mais le Seigneur est venu le cueillir paisiblement.Il était depuis 2 jours à l’hôpital de St Sever, pour des difficultés respiratoires, et devait nous revenir bientôt… Le Seigneur en a décidé autrement ! Qu’il en soit béni car, au-delà des séparations, notre frère attendait ce Passage depuis longtemps !
L’aumônière était venue 30 minutes avant pour lui porter la communion, mais avait dû y renoncer à cause d’encombrements des voies respiratoires. Par contre, elle avait prié longuement avec lui. Après son départ, quand le personnel médical est passé, il avait déjà quitté notre monde pour rejoindre l’Autre Rive.

Quelques repères biographiques sur frère Loïc

Né le 25 novembre 1934 à Casablanca (Maroc) dans une famille nombreuse très fervente, Loïc de Penfentenyo de Kervéréguin a été marqué toute sa vie par une maladie handicapante qui a coloré sa personnalité d’une forte volonté de dépasser tous les obstacles, et imposé de nombreuses souffrances tout au long de sa vie.
Sa passion pour la mécanique auto le conduit jusqu’à une école d’ingénieurs, HEI à Lille, dont il sort diplômé en 1958 (?) Il commence sa vie professionnelle chez Panhard, quand, en 1962, une retraite spirituelle selon les Exercices de saint Ignace l’incite à frapper à la porte de notre communauté. Son sourire – véritable fenêtre ouverte vers le Paradis – témoigne en sa faveur pour l’accueillir en 1963, mais il ne prononcera aucun engagement formel. Il est resté chez nous pendant plus de 50 ans, comme « familier », s’occupant de l’entretien des voitures, et toujours disponible pour faire des trajets auto vers la gare ou toute autre direction. De nombreux amis n’oublieront jamais ces trajets… Son handicap faisait peur mais sa conduite était finalement sûre.
Ces dernières années, son état physique s’est bien dégradé, et depuis 3 mois il ne pouvait déjà plus quitter le fauteuil roulant, étant finalement devenu totalement dépendant. Pour un tempérament volontaire comme le sien, on pouvait redouter le pire… mais la grâce fut la plus forte : « Je vis l’abandon » exprimait-il paisiblement, avec son bon sourire !
Ne pouvant plus lire tout seul, il était heureux quand des frères se proposaient pour lui lire la Parole de Dieu… en particulier son dernier livre biblique fut le Cantique des cantiques qui décrit la relation d’amour entre l’âme et Dieu !

Notre dernier adieu à frère Loïc

Le corps de frère Loïc est revenu à l’abbaye le vendredi 12 mars en fin de matinée, et il a été déposé au chapitre pour être visité. En soirée, des vigiles nous ont rassemblé autour de lui dans la grande église. vous pourrez lire ci-dessous l’homélie du p. Abbé à cette occasion.
Les obsèques ont été célébrées le samedi 13 mars, puis il a été inhumé dans notre cimetière monastique.
Merci pour votre prière, pour que l’œuvre de Dieu parvienne en lui à son accomplissement.

Homélie pour la veillée de prière de frère Loïc

Cher fr Loïc,
Elles vous rejoignent toutes, ces lectures choisies pour vous accompagner dans ce Grand Passage que vous vivez.
La 1° lecture (2R 2,1-14) décrivait le Départ vers le Ciel du prophète Élie. Il est enlevé aux Cieux dans un char de feu tiré par des chevaux de feu ! Je suppose que vous auriez aimé un tel attelage pour rejoindre Dieu… à condition qu’il n’y ait que 2 chevaux ! En disant cela, j’imagine votre bon sourire illuminant votre visage.
Qu’est-ce que signifie cette description ?
Le feu représente souvent Dieu, dans la Bible. Le char de feu et les chevaux de feu signifient qu’ils viennent de Dieu, pour chercher son serviteur. Toute sa vie, le prophète a cherché à servir Dieu, à le défendre au milieu des faux dieux. Élie est resté fidèle, sans se laisser impressionner par la foule de ses contemporains servant de faux dieux, des idoles. On a là un beau trait de votre personnalité – héritée certainement de votre milieu familial – la fidélité à ce que vous croyez, contre les faux dieux de la société, ou même contre ce qui vous paraissait des défauts chez vos frères de communauté.

L’évangile (Jn 14, 1-6) est tiré du discours d’adieux de Jésus, lors de la dernière Cène. Jésus annonce son départ, il voit ses disciples troublés et cherche à les rassurer: « Il y a beaucoup de demeures dans la maison de Dieu. »
J’aime beaucoup cette parole de Jésus qui nous invite à un regard bienveillant sur nos frères et nos sœurs. Chacun a droit à une place dans le Royaume des Cieux. Nous sommes facilement tentés d’imaginer au Ciel ceux qui nous ressemblent, ceux qui ont plus ou moins la même sensibilité que nous, la même structure de personnalité. Mais que ce serait triste et monotone si nous étions tous au même gabarit ! Dieu est plus grand que nous, il a un cœur plus large que le nôtre. Il sait voir en chacun ce qui est bon, avant de se polariser sur le négatif.
Un jour un frère est venu dans mon bureau : « Mon père j’ai compris une chose : j’ai le droit d’être moche ! » Qu’est-ce à dire ? « J’ai le droit d’être différent des autres, j’ai le droit d’avoir des faiblesses, de ne pas correspondre en tout à ce qu’on attend de moi. J’ai le droit d’être moi-même ».
C’est une grâce de la vie commune de nous buriner pour apprendre à nous accueillir dans nos différences. C’est sûr qu’avec fr Loïc, ce n’était pas toujours facile… ni dans un sens, ni dans l’autre. Il était construit sur une telle logique mathématique, et animé par une telle volonté, qu’il avait du mal à comprendre que les autres ne fonctionnent pas comme lui… « ce serait pourtant si simple… »

Avec cette difficulté, nous touchons le domaine des épreuves vécues par fr Loïc.
St Bernard dans la 2° lecture (homélie sur le Ps 90) affirme avec force : « Dans la détresse, je suis avec lui » dit Dieu
Je ne sais si vous avez connu de vraies détresses. Votre force de vie et votre volonté semblaient vous avoir rendu plus fort que toutes les épreuves… Mais des tribulations, des épreuves, des souffrances, vous en avez connu beaucoup… c’était même votre lot quotidien.
Jusqu’à ces sortes de décharges électriques qui vous traversaient soudain (maladie d’Arnold) et parfois très souvent, vous contractant de douleurs pendant quelques secondes. Mais quand vous en sortiez, la plupart du temps, nous avions droit à un sourire qui semblait vraiment venir d’Ailleurs. « Dans la détresse, dit Dieu, je suis avec lui » Votre sourire était-il le signe que dans vos détresses, vous faisiez l’expérience de la présence de Dieu ?
St Bernard, dans son texte, continuait : « Il est bon pour moi, Seigneur, d’être dans la détresse, pourvu que tu y sois avec moi ; cela me vaut mieux que de régner sans toi, de festoyer sans toi, d’être sans toi dans la gloire. Mieux vaut pour moi de me serrer contre toi dans la détresse, de t’avoir avec moi dans le creuset que d’être sans toi, même dans le ciel ».
Magnifique acte de foi de st Bernard !
Je crois volontiers que vous viviez ce même éclairage, fr Loïc… au moins pour les épreuves physiques !
Les épreuves font partie de la vie. Mais quand on perçoit que Dieu les a permises, on les accueille plus facilement. Quand elles s’imposent à nous, comme inévitables, cela signifie que Dieu est derrière, qui nous aidera à les porter, à les traverser.

Je crois volontiers qu’à l’occasion de 2 épreuves particulières, vous avez vécu ce regard de foi :
Quand il a fallu arrêter de conduire… les frères m’alertaient que votre conduite commençait à être moins sûre… je redoutais le moment où il faudrait vous interdire de prendre le volant… et puis un jour, vous avez commencé à vraiment devenir dangereux ! Alors j’ai pris mon courage à 2 mains et vous ai expliqué que je ne pouvais plus prendre cette responsabilité, cela devenait trop grave. Aussitôt vous avez accepté, sans discussion ! Pour accepter une telle décision aussi radicale, il fallait que vous perceviez que Dieu parlait là. Et vous vous êtes exécuté, sans état d’âme ! Dans un regard de foi.
Autre exemple présentant la même tonalité : quand vous étiez en fauteuil roulant, rapidement vous vous êtes équipé d’un fauteuil électrique, qui vous maintenait dans une certaine autonomie. Mais un jour vous vous êtes endormi à conduire votre fauteuil et avez failli tomber en dévalant les marches du sanctuaire… À nouveau il a fallu venir à vous, vous expliquer le risque à continuer… « mais alors je vais perdre mon autonomie », m’avez-vous soufflé tristement ! « Il vaut mieux ça que de vous blesser gravement », ai-je répondu… vous avez compris que la cause était décidée, et n’avez pas insisté ! Dieu avait parlé, vous obéissiez ! Jusqu’à ce jour récent où je vous demandais si vous ne souffriez pas trop de cette dépendance totale. « Je vis l’abandon » fut votre réponse dans le grand sourire qui vous caractérise. Certes ce ne fut pas un abandon total du jour au lendemain – qui d’ailleurs pourrait se targuer d’une telle radicalité ? Mais il est indéniable que la direction était bien orientée. Vous acceptiez de lâcher prise !

Nous abordons là une 4° facette de votre personnalité, peut-être la plus émouvante, celle de la préparation à la mort.
Votre vie active était toute centrée autour de la mécanique auto et de la conduite. En même temps vous faisiez preuve d’une fidélité admirable aux offices liturgiques … quelques fois pour 5 minutes seulement car vous aviez une course à effectuer mais vous veniez pour 5 mn… Cependant on pouvait se demander si vous goûtiez beaucoup cette prière…
Et puis les forces ont diminué, les frères ont commencé à vous remplacer pour quelques trajets auto. Vous alliez moins travailler dans votre atelier. Cet affaiblissement physique vous a donné une disponibilité plus grande pour lire la Bible.
Votre famille m’a plusieurs fois témoigné que quand vous aviez des forces, les sujets de discussion avec vous sortaient difficilement des nouvelles familiales et de celles de vos 2 CV, mais progressivement elles s’ouvrirent à des réflexions bibliques que vous étiez heureux de partager.
Parallèlement à cela, étant moins tendu vers une efficacité à réaliser telle ou telle chose, vous vous êtes ouvert à votre environnement humain. Vous êtes passé d’un tempérament dur avec soi-même et avec les autres, à une disponibilité plus compréhensive pour les difficultés d’autrui, remerciant beaucoup pour les petits services rendus, cherchant à ne pas peser sur les autres. Je me demande même si le fait que vous soyez mort à l’hôpital ne serait pas le signe de votre désir de ne pas peser sur votre frère infirmier…
Le matin de votre départ pour l’hôpital de st Sever, je vous demandais si vous vous sentiez bien, si vous étiez satisfait des frères Alors que d’habitude une telle question attirait une kyrielle de reproches, d’insatisfactions, cette fois-ci j’eus droit à un magnifique sourire exprimant votre gratitude … Je garde ce sourire comme votre testament !
Merci cher fr Loïc pour la leçon que vous nous avez donnée : Dieu travaille en nos cœurs, avant de nous appeler à lui, il nous prépare à cette rencontre, à quitter ce monde pour l’Autre monde, à grandir dans l’Amour pour Lui et pour les Frères.
Pour illustrer cette préparation de fr Loïc, je laisse la parole à notre fr infirmier
Depuis quelque temps, constatant que l’état physique de notre frère se dégradait, mais qu’en même temps on le voyait devenir plus doux, plus paisible, plus facile, il en concluait « Le Seigneur est à l’œuvre, son Départ ne devrait pas tarder beaucoup » …
Merci fr Loïc pour cette leçon de vie que vous nous avez donnée : dans nos épreuves, dans nos faiblesses, Dieu nous travaille et nous prépare. Comme disait st Bernard : « dans la détresse, je suis avec lui », dit Dieu.