affiche du film Marie Heurtin sur fond de pellicule

La grâce d’être mère dans « Marie Heurtin »



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La grâce d’être mère :
Sr Marguerite auprès de Marie Heurtin

Le film « Marie Heurtin » est une véritable hymne à l’amour, à la beauté de toute personne humaine, à l’importance de l’éducation.
L’histoire de la jeune Marie, emmurée depuis sa naissance comme dans un cachot par son handicap (aveugle, sourde et muette), et coupée de toute relation humaine, même avec ses parents trop démunis devant la situation, nous rejoint à différents niveaux.

Les événements

Au plan des événements, il est merveilleux et bouleversant de contempler l’amour de sr Marguerite, qui a perçu l’âme de Marie enfermée derrière son handicap, et qui décide de consacrer sa vie à libérer cette petite pour l’introduire dans le monde des humains. Au-delà de ses pauvretés (découragement, énervements…) cette religieuse fera preuve de trésors de patience, d’ajustement à son élève, de pédagogie pour la rejoindre d’abord, puis pour l’ouvrir – par le langage des signes – aux relations humaines qui permettront à l’adolescente de s’épanouir.
Sans faire attention aux regards étonnés ou réprobateurs de sa communauté, sr Marguerite avance pas à pas, dépourvue de toute certitude de réussite. Elle encourage sans cesse Marie à avancer, à progresser, lui ouvrant ainsi des horizons. Mais elle n’a pas de projet précis pour elle. Bien souvent on la voit s’effacer devant celle qui deviendra sa fille, accueillant et confortant les petits actes positifs que celle-ci pose. Par-là, elle l’aide à sortir de sa prison intérieure et du désespoir, en lui donnant une structure personnelle, et ensuite c’est Marie elle-même qui construira sa vie.

Marie Heurtin et chacun de nous

Mais si le film nous touche si fort, c’est probablement que derrière le personnage de Marie Heurtin, chacun de nous peut se reconnaître sur un point particulier.
Nous avons tous, au fond de nous, un trésor d’humanité… mais nous avons tant de mal à l’extirper de sa gangue, pour l’exprimer et le mettre en œuvre. Les blessures intérieures reçues de notre histoire font que nous nous recroquevillons, n’osant affronter les autres… alors que ce serait la seule voie pour une libération.
Nous avons tous besoin d’une sr Marguerite qui accepterait de venir jusqu’à nous, approcher notre cœur profond avec une infinie délicatesse, et une confiance à toute épreuve. Elle nous tendrait la main et effleurerait la nôtre avec tellement de douceur que nous nous laisserions rejoindre et apprivoiser. Elle appellerait ainsi notre cœur afin qu’il sorte au grand jour, l’aiderait à éclore et se révéler, réjouissant ainsi les autres de nos trésors d’humanité qu’ils ne soupçonnaient pas en nous, auparavant.

Sr Marguerite et chacun de nous

Cette histoire de Marie Heurtin peut nous rejoindre aussi par le personnage de sr Marguerite. Le rôle des parents comme de tout éducateur, n’est-il pas de deviner dans leur enfant les richesses de son cœur, et de lui donner confiance, pour qu’il ose les déployer et les mettre en œuvre ?
La qualité du regard de sr Marguerite sur sa fille, son émerveillement devant Marie jouant avec l’eau du ruisseau ou avec la neige qui tombe, mais plus encore son enthousiasme quand enfin Marie a compris que, par le signe du couteau, elle pouvait entrer en relation avec elle et avec les personnes qui l’entourent, toutes ces attitudes d’âme de la religieuse, nous les avons en nous.
Tous, nous avons déjà expérimenté cet émerveillement devant l’ouverture d’une personne à la vie : un enfant qui apprend à parler, un malade qui progresse vers la santé, une personne qui pose un acte humain beau, parfois au prix de grands risques. Tous nous avons un cœur de père ou de mère qui ne peut que résonner devant les trésors de maternité déployés par sr Marguerite, malgré ses limites à elle, qui sont aussi les nôtres.

Vie religieuse et maternité

Et là, nous touchons le paradoxe de ce film, car la personne qui fait preuve de tant d’humanité, n’est pas une maman, mais une jeune religieuse. Celle qui avait choisi le célibat, et par là de ne pas déployer la richesse d’une maternité humaine, c’est elle qui se révèle capable d’un tel don de soi jusqu’à la mort, d’une telle espérance face à Marie, d’une telle confiance qu’elle ne sera pas seule pour assumer cette mission ! Sr Marguerite est vraiment la preuve qu’une vie donnée à Dieu, si elle est bien vécue, n’étouffe pas notre humanité mais lui permet de se déployer encore plus, elle ne coupe pas des hommes mais permet de les rejoindre plus profondément. L’apparent appauvrissement que peuvent représenter les vœux s’avère être source d’une richesse inouïe : en se donnant à Dieu, on ne devient pas moins humain. Si le manque apparent se laisse occuper par Dieu, celui-ci nous conduit à un sommet d’humanité.
Pour assumer sa tâche, sr Marguerite n’était pas seule. Elle est entourée d’une communauté de sœurs, elle dépend de l’autorité d’une supérieure… toutes ces femmes sont bien limitées dans leur humanité, comme nous tous, mais en répondant à un appel divin elles se laissent déranger, et par là Dieu lui-même peut faire des merveilles en chacune. Car finalement c’est toute la communauté qui a accueilli Marie, qui en a porté le poids, puis s’est laissée habiter par l’émerveillement devant ses progrès, et qui, au-delà la mort de sr Marguerite, continuera l’éducation de sa fille.

L’épanouissement de Sr Marguerite

Cette évocation de la maternité de sr Marguerite nous amène à un dernier regard que je voudrais porter : celui de la naissance de cette femme. En effet Marguerite a fait naître Marie, c’est très clair, mais l’inverse n’est-il pas tout aussi vrai ?
Au début du film, la sœur est enfermée dans sa tuberculose qui la contraint à mille précautions. Marie arrive dans sa vie à l’improviste, elle n’a fait qu’obéir à l’injonction de sa supérieure. Et là, en grimpant dans un arbre pour rejoindre l’adolescente, en approchant si doucement sa main pour toucher délicatement l’autre qui se laisse rejoindre, sr Marguerite reconnaît son âme. Elle comprend alors le sens de sa propre vie : se consumer pour donner vie à cette petite sauvageonne.
La scène où le papa de Marie attache sa fille au poignet de sa maîtresse est particulièrement symbolique. Le sort des deux femmes est désormais lié. Marguerite emploiera toutes ses forces pour sortir de son isolement son élève qui devient comme sa fille à ce moment-là. Elle commence par se mettre à l’écoute de celle qu’elle doit éduquer. Les regards de Marguerite se montrent particulièrement maternels, ils scrutent son enfant pour en deviner le fonctionnement, les besoins, les ressorts cachés (cf la scène avec la vache, ou bien celle au bord de l’eau). Sa maladie ne compte plus pour elle, une seule chose la tient debout : trouver une entrée, une brèche, pour amorcer un dialogue avec Marie. Les six premiers mois se montrent particulièrement éprouvants et purifiants de tout désir de réussite selon un projet précis. La religieuse doit affronter le regard de ses sœurs devant le poids à porter (cf scènes du réfectoire…), la lassitude de sa supérieure, son propre découragement, quand enfin le geste du couteau posé par Marie signifie qu’elle a compris que, par des signes, elle pourrait dorénavant entrer en relation avec celles qui l’entourent. Tournant décisif dans son existence, qui l’ouvre à des relations humaines par lesquelles elle sort de son isolement et va pouvoir s’épanouir dans une course de géant.

Maternité, détachement, et liberté

A partir de là, j’ai envie de dire que Marguerite a donné naissance à Marie… il ne lui reste plus qu’à l’accompagner sur le chemin de sa croissance humaine et plus tard spirituelle. Nous assistons alors, émerveillés et bouleversés, à l’éclosion de cette vie nouvelle dans toutes ses dimensions : les retrouvailles si émouvantes avec ses parents ; la compréhension, par la mort d’une sœur de la communauté, que la vie sur terre se prolonge au Ciel et que nous restons en communion avec ceux qui sont partis vers Dieu ; et finalement l’amour merveilleux et la compétence impressionnante dont témoigne l’adolescente pour soigner la religieuse malade.
C’est alors que se profile le dénouement : Marguerite mourante n’arrive pas à se détacher de Marie, elle se durcit pour ne plus la voir, jusqu’au jour où la supérieure lui fait comprendre sa fermeture et l’aide ainsi au dernier détachement. Elle a donné naissance à sa fille, elle l’a lancée dans la vie, maintenant celle-ci, forte de ce qu’elle a reçu, est capable de continuer sa Route, avec l’aide de la communauté.
Marguerite a compris : son départ terrestre va permettre à Marie de continuer sa Route en devenant de plus en plus autonome. Elle y est prête et en a même peut-être besoin. Dans un dernier acte éminemment maternel, Marguerite libère sa fille, en lui donnant confiance que désormais elle est apte à vivre sans elle, lui transmettant une ultime recommandation : « Ne cesse pas d’apprendre … Vis! ».
L’étreinte finale entre les deux femmes atteint alors une intensité jamais vue auparavant. Elles n’ont jamais été autant mère et fille, et le demeureront. Leur contact ne sera plus physique, il deviendra purement spirituel, mais pas moins profond et réel pour autant.
Chacune a fait naître l’autre à sa propre richesse :
Marie est parvenue à un seuil d’autonomie humaine et spirituelle qui lui permet de vivre dans la communauté ;
Marguerite a été purifiée dans sa maternité, mais elle demeure pleinement mère, continuant à donner vie à sa fille, spirituellement, au jour le jour, depuis la demeure du Père.