John W. O’Malley, L’événement Vatican II, La part-Dieu 18 (Lessius, 2011), Diffusion Cerf, 446 p.
Certains érudits répondant à une question précise creusent en toutes directions des questions souterraines que l’interrogateur ne soupçonnait pas… Parfois, ce dernier peut en arriver à ne plus comprendre sa propre question !
D’autres érudits conduisent plutôt à des points de vue supérieurs, d’où se voient bien les grandes lignes du paysage. En les écoutant, des questions fort complexes deviennent simples, des points obscurs prennent sens car on découvre qu’ils sont situés au point d’intersection de mouvements de terrains n’allant pas forcément dans la même direction.
Le père John W. O’Malley fait partie de cette deuxième sorte. Il a passé des années à étudier Vatican II : ses sources, sa forme, ses acteurs, ses courants de pensée, son déroulement, ses applications, les compréhensions qu’on en a eu, etc. Avec une maîtrise peu commune, il a écrit un livre très abordable (nous avons pu le lire au réfectoire sans difficulté ! C’est une garantie !) qui permet de pénétrer dans ce qu’a été cet événement majeur de l’Église au XXe siècle.
Après une introduction très éclairante sur les courants théologiques qui ont précédé la réunion du concile, l’auteur nous présente le déroulement des sessions successives, mettant en lumière le style complètement nouveau adopté par les Pères, les personnalités des ténors des deux grandes tendances qu’il nomme avec sagesse minorité et majorité (pour éviter conservateurs et progressistes, catégories qui ne rendent pas compte de la réalité). L’ébullition intellectuelle et la maturation des idées sont bien situées dans le contexte de l’époque, sans omettre les pressions terribles exercées par les deux tendances, notamment sur les deux papes successifs. Ceux-ci, Jean XXIII et Paul VI, ont réussi à tenir la barre dans les tempêtes, arrivant à faire mûrir les questions jusqu’à conduire toujours à des votes pratiquement unanimes (Le texte le plus âprement discuté : le décret sur la liberté religieuse, a été adopté par 2 368 voix contre 70).
L’auteur fait aussi apparaître une donnée étonnante : sur des thèmes aussi variés que l’œcuménisme, le ministère des évêques et des prêtres, les relations entre Tradition et Écritures, la liberté religieuse, etc. les clivages entre minorité et majorité sont restés identiques. Il en conclut que sous les problèmes évoqués ouvertement se cachaient des questions sous-jacentes qui partageaient les avis en amont. Avec maîtrise, il a réussi à dégager trois questions, implicitement présentes dans tous les documents du Concile, qui n’ont jamais été discutées pour elles-mêmes (sauf la deuxième), mais
seulement dans leurs implications ; elles donnent une clé d’interprétation des textes conciliaires. Si vous voulez les connaître vraiment, je vous invite à lire ce livre ! J’en donne simplement une énumération succincte :
1. La conception du changement (aggiornamento) : retour aux sources, développement ou adaptation au monde ?
2. Le rapport du centre (pape) à la périphérie (les évêques dans leur diocèse) : c’est la question de la collégialité épiscopale.
3. Quel style pour l’Église et pour le concile lui-même ? Fallait-il abandonner un style juridique ou inviter au dialogue avec le monde ?
Les réponses apportées à ces questions ont dessiné le nouveau visage de l’Église, lui donnant ce dont elle avait absolument besoin pour affronter les défis du monde moderne (et postmoderne !) Cinquante ans après sa célébration, la réception de Vatican II est loin d’être achevée, ce livre peut nous aider à accueillir ce que l’Esprit dit aux Églises (Ap 2, 17).