Communier dans la main?



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Face à la pandémie actuelle, nos évêques ont demandé aux fidèles d’adopter des comportements visant à ne pas favoriser l’extension du coronavirus : suppression de l’eau dans les bénitiers, port du masque, « baiser de paix » à distance, communion dans la main, etc1 S’ils ont pris cette décision, ce n’est pas pour des considérations liturgiques, mais conscients des enjeux sanitaires, ils veulent protéger les plus vulnérables.

Du bon sens

Pour ce qui est de la communion dans la main, le raisonnement est simple. Si une personne est atteinte par le Covid, même sans le savoir (ce qui est souvent le cas, d’où les fameuses « quarantaines » de 14 puis de 7 jours), elle risque de transmettre le virus. Cela se fait essentiellement par la salive. Il suffit de minuscules gouttelettes aspirées par un proche pour que ce dernier soit, lui aussi, contaminé. Si donc un fidèle malade (sans le savoir) communie dans la bouche, la main du prêtre qui lui donne le Corps du Seigneur va être mise en contact avec le virus. Le prêtre risque alors de transmettre le Covid à tous les fidèles qui recevront ensuite la communion !

Est-ce qu’un fidèle peut légitimement prendre le risque de contaminer ses frères ? Les évêques ont pris le parti de répondre non en demandant de communier dans la main.

Des objections

Hélas, cette mesure de simple bon sens heurte la sensibilité liturgique de beaucoup qui préfèrent communier directement dans la bouche, sous prétexte que ce serait un usage très ancien irréformable ! Mais le rite de communier dans la main est aussi attesté dans des liturgies antiques, notamment par S. Cyrille de Jérusalem dans ses célèbres Catéchèses mystagogiques : « Quand donc tu approches (pour communier), ne t’avances pas les paumes des mains étendues, ni les doigts disjoints ; mais fais de ta main gauche un trône pour ta main droite puisque celle-ci doit recevoir le Roi, et, dans le creux de ta main, reçois le corps du Christ disant : “Amen.” »2

Certains voient dans la communion dans la main une attitude irrespectueuse, mais les mots employés par S. Cyrille ne sont-ils pas empreints d’un très saint respect ?

Serait-ce parce que nos mains sont chargées de péchés qu’il serait indigne d’y recevoir le corps du Seigneur ? Et nos langues, ne sont-elles pas elles aussi utilisées pour pécher ? Et nos bouches n’ont-elles pas été complices d’intempérances dans la boisson ou la nourriture ?

Notre Seigneur n’a pas fait mention du rite de la communion lorsqu’il a institué l’eucharistie. Et rien n’est dit dans le Nouveau Testament à propos de la manière de communier. Le respect exigé n’est pas de l’ordre des gestes physiques mais bien plutôt de l’attitude du cœur : « On doit s’examiner soi-même avant de manger de ce pain et de boire à cette coupe » (1 Co 11,28), autrement dit : « Celui qui est conscient d’un péché grave doit recevoir le sacrement de la Réconciliation avant d’accéder à la communion » (Catéchisme de l’Église Catholique 1385). Voilà le respect essentiel à ne pas omettre ! Le reste n’est que tradition humaine. Comme de très nombreux rites liturgiques, la manière de communier est livrée à l’inventivité amoureuse et respectueuse de l’Église pour son Seigneur.

On objecte encore que de nombreux saints ont recommandé de communier dans la bouche. Oui, et il est tout à fait légitime de préférer communier dans la bouche. Mais l’enjeu actuel n’est pas une querelle de rites. Il s’agit d’opter pour un commandement du Seigneur : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mt 22,39), en l’occurrence en choisissant de poser un geste qui ne transmettra pas le covid aux autres membres de l’assemblée, ou bien de préférer une tradition qui vient des hommes.

Un choix

Notre Seigneur a été confronté à un dilemme semblable durant sa vie publique. Certains juifs consacraient leur fortune personnelle à l’entretien du temple (attitude louable et même admirable), mais ils en tiraient argument pour ne pas prendre soin de leurs vieux parents : « Supposons qu’un homme déclare à son père ou à sa mère : “Les ressources qui m’auraient permis de t’aider sont korbane, c’est-à-dire don réservé à Dieu”, alors vous ne l’autorisez plus à faire quoi que ce soit pour son père ou sa mère ; vous annulez ainsi la parole de Dieu par la tradition que vous transmettez. Et vous faites beaucoup de choses du même genre. » (Mc 7, 11-13)

Il serait bien dommage que des fidèles catholiques annulent la parole de Dieu (le commandement de l’amour du prochain) pour une tradition humaine (pourtant vénérable). Si sainte Térésa de Calcutta (parfois invoquée comme partisane de la communion dans la bouche) était parmi nous aujourd’hui, pensez-vous réellement qu’elle prendrait le risque d’infecter une vieille personne en communiant ? N’obéirait-elle pas humblement aux évêques et à leur bon sens en communiant dans la main et en attendant des jours meilleurs où elle pourrait à nouveau communier dans la bouche ?

Aujourd’hui, des gens âgés ne retournent pas à la messe pour la simple raison qu’ils savent que des jeunes et des prêtres ne prennent pas de précautions suffisantes face à l’épidémie : ils ont peur d’être atteints par cette maladie. N’a-t-on pas le devoir de tout faire pour qu’ils puissent participer sereinement au culte divin ?

1 cf. https://eglise.catholique.fr/sengager-dans-la-societe/sante/coronavirus-covid19/494529-coronavirus-message-pere-thierry-magnin/

2 Catéchèses mystagogiques, V, 21, Paris, Cerf, « Sources chrétiennes », 126 bis, p. 171. Cet enseignement a été donné aux environs de 365. Ce rite de la communion dans la main est attesté à la même époque dans toute la chrétienté, notamment par S. Jérôme (Rome et Jérusalem), S. Augustin (Afrique du Nord), S. Jean-Chrysostome (Constantinople.)