pieds croisés sur un tissus coloré

Révélation sur la paresse



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La paresse dans la Bible

La paresse nous guette ! Ces pages, qui nécessitent de se donner du mal pour les lire, vont tenter de débusquer ce défaut qui se camoufle sous des dehors honorables. Le sujet vaut l’effort, car il touche beaucoup de monde, et personnellement, j’éprouvais le besoin de le creuser un peu… Pour ce faire, j’ai ouvert la Bible, et j’ai cherché ce que la Parole de Dieu nous dit à ce sujet : que nous révèle-t-elle sur la paresse ?

Pour éviter de trop me fatiguer, j’ai commencé par le Nouveau Testament, qui est bien moins long que l’Ancien, et souvent plus facile à comprendre. La paresse n’y est pas un thème très fréquent. On ne trouve le mot paresseux qu’en He 5,11 et 6,12 et dans la parabole des talents (Mt 25, 14-30). Prenons le temps de relire ce dernier texte, ce sera un premier effort :

Parabole des talents (Mt 25, 14-30)

« C’est comme un homme qui partait en voyage : il appela ses serviteurs et leur confia ses biens.À l’un il remit une somme de cinq talents, à un autre deux talents, au troisième un seul talent, à chacun selon ses capacités. Puis il partit.
Aussitôt,celui qui avait reçu les cinq talents s’en alla pour les faire valoir et en gagna cinq autres. De même, celui qui avait reçu deux talents en gagna deux autres. Mais celui qui n’en avait reçu qu’un alla creuser la terre et cacha l’argent de son maître. Longtemps après, le maître de ces serviteurs revint et il leur demanda des comptes.
Celui qui avait reçu cinq talents s’approcha, présenta cinq autres talents et dit : “Seigneur, tu m’as confié cinq talents ; voilà, j’en ai gagné cinq autres.” Son maître lui déclara : “Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur.” Celui qui avait reçu deux talents s’approcha aussi et dit : “Seigneur, tu m’as confié deux talents ; voilà, j’en ai gagné deux autres.” Son maître lui déclara : “Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur.”
Celui qui avait reçu un seul talent s’approcha aussi et dit : “Seigneur, je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain. J’ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre. Le voici. Tu as ce qui t’appartient.” Son maître lui répliqua : “Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne là où je n’ai pas semé, que je ramasse le grain là où je ne l’ai pas répandu. Alors, il fallait placer mon argent à la banque ; et, à mon retour, je l’aurais retrouvé avec les intérêts. Enlevez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui en a dix. À celui qui a, on donnera encore, et il sera dans l’abondance ; mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a. Quant à ce serviteur bon à rien, jetez-le dans les ténèbres extérieures ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents !” »

Commentaire rapide

Vous l’avez noté, le mauvais serviteur est traité de paresseux. C’est surtout le vice de la paresse qui l’empêche de produire quoi que ce soit et qui lui vaut d’être jeté dans les ténèbres extérieures.

Une injustice ?

Longtemps, j’ai été gêné par cette parabole, car ce troisième serviteur se défend très bien : « Tu as ce qui t’appartient ». Il semble en règle, il ne garde pas le magot pour lui. Il rend ce qu’on lui a prêté. J’avais l’impression que le maître était injuste ! En réalité, qui est injuste dans ce récit ? Pour y réfléchir, imaginez une mère de famille embauchant une femme de ménage à qui elle confie le matin : un aspirateur, un seau et une serpillière. Elle part, la femme de ménage attend cinq minutes puis s’installe devant la télévision et y passe la journée. Le soir quand la maîtresse de maison rentre, avant même qu’elle ait ouvert la bouche en voyant que rien n’est fait, la paresseuse avance vers elle avec agressivité : « Madame, je savais que vous êtes une femme dure, vous voulez que ce soit propre là où vous n’avez pas nettoyé. J’ai eu peur d’abîmer l’aspirateur, voilà, je vous le rends en bon état, vous avez ce qui vous appartient ». Cette femme de ménage va-t-elle être récompensée ? La maîtresse de maison va-t-elle la payer ? Si on lui a confié un aspirateur, c’est pour qu’elle s’en serve, de même si Dieu nous confie des talents, c’est pour que nous en fassions quelque chose !
Le maître de la parabole n’est absolument pas injuste ! Bien au contraire, il a été très généreux et confiant ; comme nous le verrons, il a laissé des sommes considérables dans les mains de chacun de ses serviteurs, « À chacun selon ses capacités »1. Celui qui est en dehors de toute justice, c’est le mauvais serviteur, le paresseux !

Les deux premiers serviteurs

Le premier serviteur est plein d’entrain pour son maître, il fait fructifier sans attendre les cinq talents reçus, il prend des initiatives et sans doute des risques. Mais j’affectionne particulièrement le deuxième serviteur qui n’a reçu que 2 talents. Il ne s’attriste pas de ne pas en avoir autant que le premier, aucune jalousie ! Pourtant il n’a même pas la moitié de ce qu’a le premier. Il regarde attentivement les deux talents que le maître lui a confiés, il se réjouit d’une telle confiance. Il comprend qu’il faut les mettre en valeur. Il ne sera jamais capable de faire autant que le premier, mais il accepte humblement d’avoir une mission moins brillante. Il peut apporter quelque chose à son maître, alors il se lance.

Et le troisième

Celui qui a enterré son talent, ne le voit plus. Impossible de le mettre en pratique. Il s’attriste de ce que les deux autres ont reçu. Ne voyant pas son talent, il a un regard noir sur ceux qui en ont. Sa jalousie l’entraîne à la paresse, et réciproquement (les péchés capitaux s’entendent bien !). Il est aussi sans doute assez orgueilleux : « Comment se fait-il qu’on ne m’ait donné qu’un seul talent à Moa ! » Il est jaloux, orgueilleux, mais le défaut que pointe la parabole, c’est qu’il ne fait rien !

Quels talents ?

Initialement, le mot « talent » n’a que le sens d’unité monétaire (ou unité de poids : un poids d’argent). Un talent (talentum en latin, talanton en grec) est une somme très importante. Il vaut 6000 deniers. Un denier étant le salaire d’une journée de travail, un talent est donc équivalent en gros à 20 ans de salaire d’un ouvrier !
Pour ceux qui entendaient Jésus ou les apôtres, raconter cette parabole, il est sûr qu’ils comprenaient le mot talanton en ce sens d’une unité monétaire. On pourrait transposer en disant : « À l’un, il donna 5 millions d’euros, à un autre : 2 millions d’euros, et à un troisième 1 million d’euros ». La somme d’argent confiée à chaque serviteur est un potentiel qui va leur permettre d’agir. Et il y a de quoi faire avec seulement un million d’euros !
Au fil du temps, le mot talent a perdu son sens premier (unité monétaire) pour désigner uniquement des aptitudes, des compétences. Aujourd’hui, nous comprenons spontanément qu’il s’agirait des dons d’intelligence, ou artistiques ou d’habileté en certains domaines. Mais lorsque Jésus a employé ce mot, il est sûr qu’il n’avait pas du tout ce sens.
D’ailleurs, les dons naturels, les talents artistiques ou autres ne sont pas forcément à développer. Parfois, il vaut mieux y renoncer pour être plus fidèle à l’Évangile. Dans sa Règle, Saint Benoît estime que lorsqu’un frère qui a un talent dans un domaine en tire orgueil, il faut lui interdire de l’exercer2. C’est mieux pour lui et pour la communauté !
Certaines personnes très douées ont pu très mal utiliser leurs dons naturels. On sait par exemple que Goebbles, le ministre de la Propagande nazie, était doué d’un don d’orateur exceptionnel. Il savait galvaniser les foules. Il aurait été mieux qu’il n’utilise pas son don !
En sens inverse, Sainte Élisabeth de la Trinité était promise à une carrière de pianiste ; en entrant au Carmel de Dijon à 21 ans, elle a renoncé à toucher un clavier pour toute sa vie. Elle n’a pas développé ce talent musical exceptionnel, mais elle est devenue sainte.
Je le répète donc, les talents dont il est question dans cette parabole ne sont pas les talents humains, qui dépendent en réalité de l’intention avec lesquels on va les développer ou non.

Pour comprendre cette parabole, je pense que nous pouvons la mettre en parallèle avec celle du semeur (Mt 13,3-9). Ce dernier jette du grain qui produit plus ou moins selon la terre dans laquelle il est semé. Du grain ne produit rien, comme le dernier serviteur de la parabole, et du grain produit à trente, soixante, ou cent pour un, comme les deux premiers serviteurs. Les talents seraient donc équivalents au grain jeté par le semeur. Or, Jésus donne lui-même une interprétation de la parabole du semeur : « la semence, c’est la parole de Dieu » (Lc 8,11). Ainsi, nous percevons que les talents dont il est question sont des dons spirituels (parole de Dieu, sacrement, grâce particulière, etc.) qui nous sont octroyés par Dieu pour produire quelque chose. Aujourd’hui, bien des gens ont reçu le talent du baptême et l’ont enterré !
Le mauvais serviteur est paresseux dans le domaine spirituel. Il vit comme s’il n’avait pas reçu le baptême, comme s’il n’avait pas le don précieux de la foi, comme s’il n’avait jamais entendu la Parole de Dieu.

Acédie ou paresse ?

Dans la tradition chrétienne, étrangement, on n’insiste pas vraiment sur la paresse. Habituellement, elle n’est même pas nommée parmi les péchés capitaux (sauf dans les dernières décennies). On parle plutôt d’acédie (Dégoût des « choses de Dieu », découragement spirituel) qui engendre un manque d’élan pour tout ce qui a trait à la vie spirituelle.
N’est-ce pas le péché fondamental de notre société moderne ? Ce qui est le plus important, ce pour quoi nous sommes faits : l’union à Dieu, est reléguée à la dernière place. Dans le meilleur des cas : on s’en occupera si on trouve le temps, mais on manque de temps ! Et dans la plupart des cas, la question de l’union à Dieu est carrément oubliée, voire rejetée.
La paresse qui est reprochée au mauvais serviteur de la parabole est plus de cet ordre-là : il ne prend pas soin des dons spirituels reçus, il ne cherche pas à les faire fructifier. Voilà son péché ! Il est grave, car il s’oppose directement à la fin ultime de la vie humaine : l’union à Dieu.

Dans la lettre aux Hébreux

Dans le Nouveau Testament, le mot paresseux apparaît deux fois encore, dans la lettre aux Hébreux, plutôt dans le sens de l’acédie : « Vous êtes devenus paresseux pour écouter » (écouter la parole de Dieu) (Hébreux 5,11); « Ne devenez pas paresseux, imitez plutôt ceux qui, par la foi et la persévérance, obtiennent l’héritage promis. » (Hébreux 6,12) (ici encore, la paresse est opposée à une attitude pleine de foi).
Certes, l’acédie est un péché capital qui s’oppose directement à notre fidélité à Dieu, mais il existe une autre forme de paresse, celle que nous connaissons tous plus ou moins, qui consiste à repousser les efforts ; à elle seule, elle peut réussir à pourrir nos vies. C’est de cette simple paresse que je voudrais parler maintenant.

Pour éviter le reproche de He 5,11 (ne pas écouter la Parole de Dieu), je vous propose de nous mettre à l’écoute d’un livre très peu lu de la Bible : les Proverbes. Il y est souvent question de la paresse au sens courant du terme : le manque d’élan pour le travail3.

La paresse dans le livre des proverbes

Le mot paresse, qui est abstrait, n’apparaît pas beaucoup dans le livre des proverbes (une seule fois en 19,15). En revanche, il est souvent question du paresseux : c’est beaucoup plus concret ! Le paresseux agit (ou n’agit pas !) de telle ou telle façon. Voilà ce que vont décrire les nombreux proverbes qui en traitent. Ces proverbes sont comme une mise en lumière de la manière de faire du paresseux, ils sont comme une révélation de la paresse.

Le chemin du paresseux est un buisson de ronces (Proverbes 15,19)

Un chemin non entretenu devient impraticable. Des ronces y poussent vite. Quand il a besoin d’y passer, le paresseux est contraint à des efforts énormes alors qu’il aurait suffi d’arracher quelques mauvaises herbes de temps en temps pour qu’on puisse y circuler.

Les exemples concrets où s’applique ce proverbe pullulent :

  • la maison qui n’est pas entretenue devient impossible à réparer.
  • L’examen qui n’est pas préparé en amont devient une épreuve insurmontable.
  • La chambre qui n’est pas rangée régulièrement devient un taudis ou bien vous perdez du temps à chercher tout, tout le temps.
  • Vous avez mal au dos, et vous savez qu’il faut faire un peu d’exercice… mais vous remettez à demain. Finalement, les problèmes de dos s’aggravent.

Avec humour, l’auteur du livre des Proverbes écrit aussi au chapitre 24 : « Je suis passé près du champ d’un paresseux, près de la vigne d’un homme écervelé. Voici que des broussailles avaient poussé partout, le sol était couvert de ronces, la murette en pierres était par terre. Voyant cela, moi, je réfléchis ; je regarde et j’en tire une leçon : un somme par-ci, une sieste par-là, s’allonger un moment, se croiser les bras, et voilà que survient la pauvreté qui rôdait, la misère, comme un garde bien armé. » « Comme un garde bien armé » : une fois qu’elle est là, difficile d’échapper à la misère !

Vinaigre sur les dents, fumée dans les yeux, tel est le paresseux pour ceux qui l’emploient (Proverbes 10,26)

C’est une évidence, le paresseux se rend la vie difficile, mais il est bien gênant aussi pour ceux qui l’entourent (Pensons aux enfants paresseux et aux maux qu’ils infligent à leurs pauvres parents !) Retards habituels, vérification constante de ce qu’il fait, répétition des consignes, préparation d’un plan B au cas où il n’aurait pas fait le travail : certaines personnes donnent plus de travail à les faire travailler que faire le travail soi-même.
On peut camoufler cette paresse sous de beaux atours : Un jour S. Philippe Néri entre dans un couvent de religieuse et voit une sœur balayer la cour d’entrée. Elle n’a pas beaucoup d’ardeur et visiblement s’ennuie terriblement à cette tâche. Il lui demande : « Ma sœur, est-ce que vous balayez pour l’amour de Dieu ? – Oh, oui, bien sûr, nous faisons tout pour l’amour de Dieu ici. – Ça ne m’étonne pas, parce que si c’était pour que ce soit propre, vous le feriez autrement ! »

Le paresseux soupire, et rien ne vient (Proverbes 13,4)

Il soupire après des rêves ! Il en a beaucoup, mais il rechigne devant les efforts pour les réaliser. On peut rêver devenir un grand pianiste, mais tous les grands musiciens sont le fruit de patients efforts, repris pendant des années et des années. On peut aussi rêver d’apprendre l’anglais, en allant même jusqu’à acheter une méthode Assimil, mais dès qu’il faudra se mettre au travail : « rien ne vient » !
Avoir un grand projet est bon, c’est même très bon, une vertu est liée aux grands projets : la magnanimité. C’est la vertu qui nous permet de nous lancer dans une œuvre d’envergure. Elle est très liée à une autre vertu : la patience, qui donne de tenir dans un projet. Le paresseux peut avoir quelque chose qui ressemble de loin à la magnanimité (sauf que la magnanimité est réaliste, le paresseux rêve…), mais il ne possède pas du tout la vertu de patience. Il n’arrive pas à tenir un tout petit peu dans l’effort.
C’est bien dommage, car souvent, les premiers résultats positifs donnent de l’élan pour aller plus loin. Le paresseux ne peut même pas faire cette expérience. C’est par de petits actes concrets que l’on construit sa vie. Le paresseux préfère rester dans le rêve, mais rien ne vient.

La paresse fait tomber dans l’apathie : l’homme indolent aura faim. (Proverbes 19,15)

L’apathie est cette maladie de l’âme qui consiste à ne plus s’émouvoir de rien : plus de joie ni de tristesse, plus d’envie ni de répulsion, finalement : plus de vie du tout ! Le paresseux, à force de ne rien faire n’a plus aucun enthousiasme, pire, il ne s’attriste même plus de son sort. Rien ne l’attire, aucun aiguillon ne peut le faire bouger. Quand la paresse est bien ancrée, jamais le paresseux ne se couche avec la satisfaction d’un travail bien fait ! Chaque journée est tristement semblable à la précédente et à celle qui suivra.
Ce que nous révèle ce proverbe, c’est l’enchaînement qui va de la paresse à l’apathie, et quand celle-ci est installée, plus de réaction possible ! L’indolent, celui qui ne se donne pas de mal, devenu incapable de s’émouvoir, ne réagira pas à l’appauvrissement qui menace : finalement, il aura faim.
Outre la vie sans saveur et sans relief dans laquelle est plongé le paresseux, nous pouvons donner une interprétation plus spirituelle à ce proverbe. La paresse dans le domaine spirituel (absence de prière ou de recueillement durant les temps de prière) produira à long terme une sorte d’apathie spirituelle c’est-à-dire une incapacité à goûter les choses qui plaisent à Dieu. Cette absence de goût, qui peut aller jusqu’au dégoût, empêchera finalement de nourrir son âme. L’homme indolent aura faim (spirituellement), ce qui est bien plus grave que la faim matérielle, celle-ci est ressentie par l’estomac, tandis que la faim spirituelle ne fait pas forcément mal et elle nuit à la vie de l’âme.
La fidélité à la prière, même dans l’aridité, est le seul antidote connu à cette paresse spirituelle (qui est l’acédie dont je parlais plus haut).

Le paresseux dit : « Un lion dehors ! Si je sors, je suis mort ! » (Proverbes 22,13)ou encore : « Le paresseux dit : Il y a un fauve sur le chemin, un lion qui rôde par les rues ! » (Proverbes 26,13)

Pour justifier sa paresse, le paresseux imagine volontiers des risques : « J’irais bien à la messe dimanche, mais il risque de pleuvoir et comme l’église est glaciale, j’ai peur de prendre froid. Il est sans doute mieux que je reste à la maison, d’ailleurs qu’est-ce qu’il y a à la télévision ? »
Le paresseux ne prend aucun risque ! Et il invente des obstacles et des difficultés qui vont l’empêcher de se lancer et surtout de faire un effort. « Si je me lance dans la lecture de ce gros ouvrage, j’ai bien peur de ne pas arriver au bout. Autant ne pas commencer ! » « Si je prépare ce concours et que je le rate, je ne m’en remettrais pas. » « Si j’entame ce grand nettoyage, je vais probablement gêner les voisins ; je ne veux pas avoir de problème avec eux… » Si nous prenons l’habitude de réagir à toute difficulté en faisant marche arrière ou en évitant les obstacles, nous pouvons sérieusement nous compliquer la vie.

Le paresseux plonge sa main dans le plat : quel effort pour la ramener à sa bouche ! (Proverbes 26,15)

J’avoue que cela ne m’est heureusement jamais arrivé, la gourmandise me sauve ! Mais l’idée de ce proverbe est à chercher un peu plus loin que l’image employée : le paresseux commence quelque chose, qui pourtant lui plaît, et ne finit pas. Il commence un bon livre, mais ne va pas jusqu’au bout ; il nettoie sa cuisine, mais ne touche pas au four bien encrassé… Bien souvent, il est bloqué par sa paresse. Il peut avoir de très bonnes idées, mais ne va jamais jusqu’au bout.
Un paresseux que je connais vit dans une saleté repoussante. Il a eu l’excellente idée d’acheter un aspirateur. Six mois après, l’engin est toujours dans son entrée, soigneusement protégé dans son emballage…

Le paresseux se croit plus sage que sept qui répondraient à bon escient. (Proverbe 26,16)

Un proverbe juif dit aussi, dans un sens assez proche : « le sage cherche la sagesse, le sot l’a trouvée. »

Dans Pv 26,16, le chiffre 7 a son importance, dans la Bible il signifie plénitude ou perfection : le paresseux se croit investit d’une plénitude de sagesse. Sa manière de vivre lui paraît particulièrement judicieuse. À tel point qu’il se moque de ceux qui travaillent beaucoup ! Mieux vaut prendre la vie du bon côté et s’accorder du bon temps comme lui !
Mais comme il peut souvent être pris en flagrant délit de paresse, par ses retards répétés, par ses engagements non tenus ou ses tâches laissées en plan, il lui arrive très souvent de mentir pour s’en sortir. Il se trouve rusé, plein de finesse ! Il ment tellement qu’au bout d’un moment, il ne sait plus discerner le vrai du faux. Il triche facilement (y compris avec la sécurité sociale ou le fisc…)
Comme il se croit vraiment « sage », il parle beaucoup : il a un avis éclairé à donner sur tous les sujets. Il sait aussi critiquer les autres, critiquer les hommes politiques, longuement, sans avoir la moindre envie de s’investir réellement pour le bien commun. En parlant beaucoup, sur tous les sujets, le paresseux se donne l’illusion de faire quelque chose.

La main active aura le pouvoir, le paresseux aura les corvées ! (Proverbes 12,24)

La parabole des mines (Lc 19,11-28) illustre bien ce proverbe. Celui qui a travaillé pour faire rapporter dix mines reçoit l’autorité sur dix villes. On peut lui faire confiance. Quant au paresseux, il ne recevra que des tâches subalternes et inintéressantes.

En automne, le paresseux ne laboure pas ; au temps de la moisson, il cherche… et il n’y a rien ! (Proverbes 20,4)

Ce qui est étonnant, c’est qu’il cherche ! Il s’attendait à une récolte ! Mais non, la réalité est autre : pas de labour, pas de moisson ! Pas de travail durant l’année, pas de concours réussi ! Pas d’investissement dans une œuvre, pas de résultat ensuite ! Le paresseux s’imagine toujours qu’on peut réussir sans effort.

Les désirs du paresseux le tuent, car ses mains refusent de passer à l’acte. (Proverbes 21,25)

Normalement, nos désirs nous font vivre. N’est-ce pas parce que nous désirons une réalité que nous nous mettons au travail pour l’obtenir ? Que ce soit un bien matériel, l’amélioration d’une relation avec quelqu’un, une connaissance (par ex. : le désir de connaître l’histoire de France), etc.
Le paresseux se découvre divisé en lui-même. Il a des désirs, et souvent de très bons désirs, mais il n’a pas la force de faire ce qu’il faut pour qu’ils se réalisent. C’est tuant !
On peut interpréter autrement ce proverbe : les désirs d’un paresseux sont de se reposer, de se ménager, de dormir… rien de profondément enthousiasmant, rien qui entraîne la vie. Au fur et à mesure qu’il reste asservi à ses désirs, il entre dans la mort. Il a une vie « mortelle » ou mortellement ennuyeuse !

La porte tourne sur ses gonds, le paresseux se retourne sur son lit. (Proverbes 26,14)

J’aime beaucoup ce proverbe plein d’humour. Le paresseux a un champ d’activité aussi étendu qu’une porte qui tourne sur ses gonds : il ne va plus loin, il ne le peut pas.

Au long du jour, [le paresseux] va de désir en désir, tandis que le juste donne sans compter (Proverbes 21,26)

Le paresseux va de désir en désir. Apparemment, il y a de la vie ! Mais la deuxième partie du proverbe fait une opposition avec l’attitude du juste qui, lui, donne sans compter. Aller « de désir en désir » est, selon ce proverbe, contraire à « donner sans compter ». J’en conclus qu’il s’agit de désirs égoïstes. Le paresseux semble à la remorque de ses désirs égoïstes, qui varient constamment, alors que le juste est capable d’unifier sa vie dans le don de lui-même.
Autrement dit, allant de désir en désir, le paresseux cherche continuellement (au long du jour) ce qui lui est agréable. Il est le jouet du désir du moment. Il s’investit successivement dans de nombreuses directions. Il n’a pas de projet unificateur dont l’intention coordonnerait ses efforts. C’est une autre forme de la paresse : elle ne consiste pas à rester allonger toute la journée, mais au contraire, elle paraît très active. De fait, paradoxalement, la suractivité peut être une forme de paresse !
Il y a quelques années, j’avais préparé un topo où je parlais du surmenage des mères de famille. Thème intéressant !J’avais réparti les activités dans un tableau à deux lignes et deux colonnes :

Urgent

Non urgent

Important

Fait

Rarement fait

Non important

Fait

Très rarement fait

Ce tableau mettait en lumière que nous sommes plutôt enclins à nous lancer dans l’urgent plutôt que dans l’important. En en ayant parlé à ma mère, elle m’a fait remarquer qu’il manquait un critère : « ce qui nous plaît » ! Très souvent, n’est-ce pas le moteur de nos activités ? Pour le paresseux qui va de désir en désir, c’est même la seule source de son activité ! Il peut ainsi s’activer toujours mais sans jamais faire ce qu’il doit faire. Il est, comme dit S. Paul, « affairé sans rien faire » (2 Thessaloniciens 3,11). Il erre « de désir en désir ».

Pourquoi la suractivité ?

Un tempérament actif pousse à se lancer dans de nombreuses activités. Par exemple : les engagements en début d’année !… « Mon fils, ne te lance pas dans beaucoup d’entreprises : si tu les multiplies, tu ne t’en tireras pas sans dommage. Même en courant, tu n’aboutiras à rien et tu ne pourras pas t’en sortir par la fuite. (Sirac 11)

  • Derrière la suractivité, il y a souvent une mésestime de soi. Mon activité me rassure sur ma propre valeur : puisqu’on a autant besoin de moi, c’est que je suis vraiment indispensable, et même irremplaçable !
  • Certaines personnes qui apparaissent comme totalement données aux autres peuvent souffrir en réalité d’une incapacité à dire NON. Jésus, lui, a parfois dit NON. Par exemple, alors que Pierre et les premiers disciples le cherchaient pour l’inviter à continuer à faire des miracles à Capharnaüm, Jésus répond : « Aux autres villes aussi, il faut que j’annonce la Bonne Nouvelle du règne de Dieu, car c’est pour cela que j’ai été envoyé. » (Luc 4,43)
  • S. François de Sales enseigne que vouloir faire trop de choses est une tentation qui vient du diable. Quand il voit quelqu’un de généreux qui cherche à servir Dieu, le diable suscite de nombreux désirs qui sont de bons désirs, pour que la personne se lance dans plusieurs directions, et finalement fasse tout mal.
  • Pour nous aider à aller de désir en désir, la modernité a inventé le surf sur internet. Autant cet outil fabuleux qu’est un ordinateur ou un smartphone peut être pratique, autant il peut nous faire perdre un temps considérable pour rien, simplement pour aller de désir en désir…

Pour lutter contre la suractivité

Viser la détente… comme un arc toujours tendu perd sa force, une personne toujours sous tension va se dégrader. Elle doit donc ménager du temps pour :

  • Détente spirituelle : temps de prière, journée spi, retraite.
  • Détente relationnelle : temps d’intimité avec son conjoint (devoir de s’asseoir), sortie avec les enfants, entretien des vraies amitiés,
  • Détente physique : prendre du repos ! (C’est un devoir !)

Pour nous pousser à ces détentes vitales, le Seigneur a mis en place le dimanche (parmi les talents qu’il nous donne) : jour de repos. Ce repos hebdomadaire qui permet la détente dans les domaines énumérés est capital à l’équilibre humain. Il préserve de la suractivité qui est souvent liée à la dispersion, obstacle connu à l’épanouissement des talents confiés par le Seigneur.
C’est paradoxal : terminer un enseignement sur la paresse en insistant sur le repos… peut-être que ce n’est pas si bête ?

* * *

1 Ce qui est de la justice distributive, il aurait été injuste de donner la même chose à chacun. Le maître s’est adapté avec justice aux capacités de chacun.

2 S’il y a des artisans dans le monastère, ils exerceront leur métier en toute humilité, à la condition que l’abbé le leur permette. Si l’un d’eux venait à s’enorgueillir de ce qu’il sait faire, se persuadant qu’il apporte quelque profit au monastère, on lui interdira l’exercice de son métier et il ne s’en occupera plus, à moins qu’il ne se soit humilié et que l’abbé ne lui ait commandé d’y retourner. (Saint Benoit, Règle 57)

3 Je m’inspire en partie de Katerina Lachmanova, Les deux visages de la paresse, trad. par Cathy Brenti (Nouan-le-Fuzelier : EdB, 2018).