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Voici formalisé par écrit un enseignement donné aux fiancés qui me sont confiés pour le complément de préparation au mariage qu’ils demandent au monastère. Plusieurs frères de la communauté font ce type d’accompagnement et chacun a sa manière personnelle de présenter les choses, mais heureusement nous sommes d’accord sur l’essentiel et normalement vous devriez y reconnaître l’enseignement de l’Église.
Remanié suivant les nécessités de l’auditoire, ce « topo » peut être fait à quasiment tous les publics. Bref, les défauts me sont imputables, le reste non, et toute remarque visant à améliorer cette présentation sera accueillie avec reconnaissance.
Suspense…
Tout commence par une « question suspense », à laquelle il faut essayer de répondre de manière à la fois courte et compréhensible par tout homme, croyant ou non : Quel est le sens de la vie ?
La même question peut s’exprimer différemment : de quoi dépend la réussite de ma vie ? En fonction de quoi pourrais-je dire que ma vie est réussie… ou ratée ?
En général, ça « patine » un peu. Je vous rappelle que la réponse doit être convaincante pour un athée, un bouddhiste, un musulman ou même… un catho ! Souvent il y a ensuite des essais philosophiques. Houlà ! Vite, il me faut rappeler que la réponse doit être
simple et convaincante !
Ce temps de recherche est précieux. Si la question est importante, ça vaut quand même le coup de se la poser, d’y réfléchir ! Après un certain temps, très souvent la bonne piste est donnée. Le but de la vie, c’est le bonheur ! C’est trop simple non ?!! La meilleure preuve, c’est que chacun, quelles que soient ses convictions, évite autant que faire se peut la douleur, la souffrance, la maladie, la mort. C’est tellement vrai que le contraire, la recherche de souffrance, est comprise comme une pathologie.
Résumons : le but de la vie, c’est le bonheur.
Le Bonheur
La question qui suit immédiatement, vous l’avez deviné, c’est : « qu’est-ce que le bonheur ? » Là de nouveau, un temps de réflexion profitable, sachant que la réponse doit toujours satisfaire les mêmes exigences que précédemment : brièveté, simplicité, accessible au non-croyant.
Là aussi les réponses sont intéressantes dans le cadre d’un dialogue, pour que chacun progresse. Les fiancés apprécient l’explicitation de ce qui est important pour l’autre.
Bref. Il n’y a pas de bonheur en dehors d’aimer ET d’être aimé. Voilà ce qui fait qu’une vie est réussie ou ratée, sachant qu’en toutes circonstances, il est toujours possible d’aimer. Il reste toutefois qu’une situation marquée par un refus ou un échec d’amour peut rester durablement douloureuse, mais il faut le répéter à la lumière de notre Foi : l’amour est TOUJOURS possible.
Apprendre à aimer
Si l’amour est ce qu’il y a de plus important, si c’est le critère pour réussir sa vie, alors la première chose à apprendre est d’apprendre à aimer. Car l’amour s’apprend. L’amour n’est pas spontané. Hélas. Ce qui est spontané, c’est le désir d’aimer, le désir d’être aimé. Ça,
oui, c’est spontané. Mais réussir à aimer, concrètement, réussir sa vie, regardons autour de nous, manifestement, ce n’est pas facile !
Pour apprendre à aimer, il faut savoir ce qu’est aimer.
Définir l’amour
À vous de jouer donc. Quelle est la définition de l’amour ? Là, normalement, tout le monde patine un peu, parfois longtemps. C’est normal, car il est plus difficile d’appréhender, d’analyser ou de définir les réalités les plus fondamentales.
Mais voilà, nous sommes tous blessés par le péché originel. Nous ne l’avons pas commis, mais nous en portons tous les conséquences. Cela a un impact aussi sur l’intelligence que nous avons des réalités. Nous sommes faits pour l’amour, et lui seul peut assurer notre véritable bonheur, pourtant…
Malgré l’attirance du bonheur, ce qui est contraire à l’amour nous est comme intérieur à nous mêmes. Nous aurons donc plus de facilité à définir ce qui s’oppose radicalement à l’amour. Je n’ai trouvé que deux réalités qui s’opposent radicalement à l’amour. Il s’agit de contradictoires de l’amour.
Les contraires et les contradictoires
Nous avons besoin ici de faire une distinction entre réalités contraires et réalités contradictoires. Les réalités contraires s’opposent mais ne se détruisent pas mutuellement. Il y a (malheureusement) beaucoup de réalités contraires à l’amour, l’avarice par exemple.
Les réalités contradictoires ne peuvent tout simplement pas exister simultanément.
Blanc et noir sont des réalités contraires ; lumières et ténèbres sont des réalités contradictoires, c’est ou l’un, ou l’autre.
Des réalités contradictoires à l’amour, je n’en ai trouvé que deux. Qu’est qui s’oppose à l’amour comme les ténèbres s’opposent à la lumière ?
1) Facile : la haine.
2) Moins facile : l’égoïsme (quand il est radical).
Qu’est ce que la haine ? La vraie haine, bien dense, bien stable… Haïr, c’est guetter l’autre pour lui faire du mal. Haïr, c’est vouloir le mal de l’autre. D’où nous pouvons facilement déduire la définition de l’amour : vouloir le bien de l’autre.
Vouloir le bien de l’autre
Vouloir. La volonté, d’après saint Thomas d’Aquin, est le siège de l’amour. La volonté est essentielle, pas le sentiment. Certes, le sentiment est important. Allons plus loin, la perfection de l’amour suppose les sentiments. Mais il est possible d’aimer sans « ressentir » de sentiments, ceux qui ont un peu d’expérience de la vie conjugale le savent bien. Par contre, il n’est pas possible d’aimer sans volonté.
Le bien. Cela suppose que le bien existe, et qu’il existe indépendamment de moi. Bien sûr, certains biens ne sont bien que par rapport à moi et ne s’imposent pas forcément aux autres. Passer mes vacances à la mer ou à la montagne… dépend de moi, je choisis ce qui me convient.
Mais il existe des biens qui conviennent à tous. C’est toujours un bien pour un enfant de vivre avec ses deux parents et que ses parents s’entendent bien…
De l’autre. Il est normal d’avoir des points communs avec ceux que nous aimons. Mais aimons-nous l’autre seulement en tant qu’il me ressemble ? Dans ce cas, c’est moi que j’aimerai dans l’autre… Si vraiment je veux aimer l’autre, c’est en tant qu’il est autre, inconnu, imprévisible et mystérieux. Déjà je ne me comprends pas toujours moi-même, alors l’autre…
Là, nous sommes en contact avec la pédagogie de Dieu, car la seule manière d’être ouvert à l’autre ainsi compris, à l’autre si déconcertant, c’est d’être ouvert à l’infini. Ça tombe bien, car un jour, nous ferons une rencontre, la Rencontre, la rencontre de l’Autre. Là, si nous ne sommes pas ouverts à l’infini, nous ne pourrons pas accueillir cet Autre. Nous voyons par là que toute notre vie est une immense pédagogie pour préparer cet instant.
Donner
Nous avons travaillé à partir de ce contradictoire de l’amour qu’est la haine. Voyons l’égoïsme maintenant. Intéressons-nous à l’agir de l’égoïsme. Quel est le verbe qui caractérise son agir ? Car l’égoïsme est actif, c’est plus que de l’égocentrisme. Il veut tout pour lui, il agit pour lui. Il ira jusqu’à voler. Le verbe qui le caractérise est « prendre »…
De là nous pouvons déduire le verbe opposé, caractéristique de l’amour : donner. Il n’y a pas d’amour sans don. Il n’y a pas d’amour qui ne soit don.
Concluons
Voilà, nous pouvons à présent reprendre notre question : comment apprendre à aimer ?
Pour apprendre à aimer, il faut :
1. Apprendre à vouloir
2. Apprendre à discerner le Bien, les biens
3. Cultiver le sens de l’autre, être attentif à l’autre
4. De manière générale favoriser ce qui est de l’ordre du don.
Où cela se fait-il naturellement ? Dans la famille, et en général en cherchant à rendre service.
Pour le moment retenons que : La vie nous est donnée par Dieu pour apprendre à aimer et à être aimé.
Que donne-t-on en amour ?
Nous avons vu que l’agir de l’amour est toujours de l’ordre du don. Alors vient la question suivante : que donne-t-on en amour ? Oui, il faut se poser la question. Souvent la première approche consiste à botter en touche, pour se donner du temps, réfléchir : « Tout, on donne tout, bien sûr ! ».
Bien sûr. Donc vous donnez tout à tous ceux que vous aimez ? Vous ne gardez rien pour vous ? Certes, comme dit saint Augustin « la mesure d’aimer, c’est d’aimer sans mesure ». Ou ce proverbe : « Tant qu’on n’a pas tout donné, on n’a rien donné »…
Bien sûr encore. Cependant un besoin d’équilibre, de mesure, se fait sentir, malgré le grand saint Augustin, car il ne s’agit pas de s’épuiser ou de se détruire.
Il y a plusieurs types d’amour.
- Il y a d’abord l’amour conjugal, qui est spontanément le modèle à partir duquel on réfléchit ;
- il y a l’amitié, qui peut être gigantesque, et combler une vie ;
- il y a l’amour parental aussi. Qui oserait dire qu’il ne s’agit pas là d’un amour ?
- Il y a encore l’amour des enfants pour leurs parents, qui est l’amour réciproque de l’amour parental. C’est un cas intéressant car on y voit à la fois la réciprocité et une inégalité : les parents n’aiment pas leurs enfants de la même manière que les enfants les aiment en retour (trouvez les différences…).
Tous ces amours, parfaitement authentiques, ne s’expriment pas de la même manière, et heureusement !
« La mesure d’aimer, c’est d’aimer sans mesure. » Il n’y a pas de mesure à l’intensité de l’amour. J’aime sans la mesure qui viendrait de mon égoïsme. En ce sens, il est vrai que « la mesure d’aimer, c’est d’aimer sans mesure ». Par contre, je dois aimer sans aller jusqu’à me détruire pour l’autre car ma destruction ne fait pas de bien à la personne aimée. J’aime sans la mesure qui viendrait de moi, mais j’aime à la mesure de l’autre, de la manière qui fait du bien à l’autre.
« Tant qu’on n’a pas tout donné, on n’a rien donné. » Oui, c’est vrai, mais avec la mesure que nous venons de mentionner : il faut tout donner de ce qui convient à l’autre. Il convient et c’est normal, d’aimer ses propres enfants plus que ceux des autres. Il convient d’aimer son mari, sa femme, plus qu’un autre homme, qu’une autre femme. Cela reste sans mesure car c’est une mesure qui ne vient pas de moi, cela reste sans mesure car à la mesure de l’autre. C’est son bonheur que je cherche, et je ne cherche mon propre bonheur qu’en tant qu’il est nécessaire au bonheur de l’aimé.
Tout cela nous a emmenés déjà bien loin. C’était nécessaire pour bien comprendre qu’il existe plusieurs types d’amour.
Maintenant il nous faut revenir sur du concret.
Que donne-t-on en amour ?
- « On donne de l’écoute (c’est souvent la femme qui dit cela), de son temps (là, c’est plutôt une réponse masculine). » Excellent ! Cela nous permet de prendre conscience au passage que la prière est fondamentalement un acte d’amour puisqu’elle est du temps donné à Dieu pour l’écouter. D’ailleurs, je donne ainsi à Dieu ce qu’Il n’a pas et qu’Il attend de moi : le temps que je peux Lui consacrer.
- « On donne des petits cadeaux, des marques d’attention… » Certes. L’amour se nourrit de la présence de l’autre, et a besoin de montrer que l’absence physique n’est pas une menace d’oubli.
- « J’apporte ce que je peux pour prendre en charge les besoins de la vie. Mon salaire,ce que je sais faire. » Encore une très bonne réponse. L’amour a besoin de réalisme, les mots ne suffisent pas. Toutefois, messieurs, les mots sont indispensables.
Mais à la base, que donne-t-on ? Le moyen commode pour tout synthétiser, c’est de s’appuyer sur les auxiliaires de la grammaire française :
- On donne ce qu’on A. registre de l’AVOIR. Le partage est bien une dimension indispensable à l’amour, mais je ne saurais donner ce que je n’ai pas.
- On donne ce qu’on EST. Registre de l’ÊTRE. C’est à dire qu’on SE donne.
À partir de là, nous avons une bonne base pour réfléchir.
Voyez la logique du raisonnement : Pour donner, il faut posséder (registre de l’AVOIR). Pour SE donner il faut SE posséder (registre de l’ÊTRE).
Pour s’engager sur le chemin de l’amour
Nous arrivons au final à la mise en évidence fondamentale : Pour s’engager sur le chemin de l’amour, il faut avoir une maîtrise de soi suffisante. Pas la perfection de la maîtrise de soi, mais un niveau minimum. La perfection, c’est pour plus tard… Certaines dépendances ne permettent pas une prise en charge réaliste de l’autre, et de l’enfant à venir.
Cependant, la maîtrise de soi ne suffit pas à aimer. Un robot est parfaitement maître de lui-même, mais enfin, il lui manque quelque chose pour être capable d’aimer. Continuons donc notre réflexion. Que faut-il de plus que la maîtrise de soi ?
Deux choses supplémentaires sont indispensables. Lesquelles ?
1) Tout d’abord, il faut avoir un a priori positif sur l’autre. Attitude fondamentale que l’on peut appeler la bienveillance. L’étymologie est intéressante d’ailleurs. Bienveillance, ne vient pas de « veiller au bien ». Bienveillance est dérivé de bien-voueillance, voueillant
étant en vieux français un participe présent du verbe vouloir. Vouloir le bien. Cependant, la bienveillance est statique. Elle ne me pousse pas encore à agir. C’est une vertu majeure pour le bouddhisme, je crois même la plus haute vertu. Mais que je sache, il n’y a pas beaucoup de mouvements caritatifs d’inspiration bouddhique.
2) Il faut donc compléter la bienveillance par une autre qualité qui, elle, va me pousser à agir. À agir malgré des désagréments qui pourraient en résulter pour moi. Cette qualité, on peut l’appeler la générosité. Là aussi l’étymologie va nous aider à approfondir : « géné- » serait une déformation de bene, le bien, le bon ; « -rosité » serait de la même racine que race. Généreux = de bonne race. Autrement dit c’est une qualité qui est transmise par les parents.
Comme nous savons que cela ne se transmet pas par la génétique, comment se fait la transmission de la générosité ? Facile : par l’éducation. Nous voyons donc grâce à sa dimension de générosité que l’amour s’apprend, il s’éduque. Le désir d’amour est spontané. Pour tout le monde. Mais arriver à aimer concrètement, ça, ce n’est pas spontané.
Maintenant, nous avons une description complète de l’amour. C’est un composé de maîtrise de soi, de bienveillance et de générosité. Sur ces trois points d’appui, l’amour est stable. Cependant, de même qu’une table tient debout avec trois pieds, il est bon qu’elle en ait quatre ! Pour l’amour, c’est pareil.
Quel est ce quatrième pied, déjà compris dans le savant mélange précédemment décrit ?
Le renoncement. L’amour est forcément un chemin de renoncement. De le savoir à l’avance m’aidera probablement à mieux vivre cet aspect. Oui, l’amour me pousse à des choix qui peuvent me coûter. L’amour fait que je choisis de privilégier l’essentiel. Parfois, j’aurai des désirs, des attirances, qui s’opposeront à l’amour. Pas toujours, heureusement. Mais ça arrivera forcément un jour ou l’autre. C’est normal.
Voulez-vous vous exercer à aimer ? Alors :
- exercez-vous à la maîtrise,
- favorisez la bienveillance,
- entraînez la générosité,
- accueillez le renoncement nécessaire.