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Les déserts de Dieu, Yves Raguin



RAGUIN, Yves, s.j.
Les déserts de Dieu, suivi de : Dans l’attente de la vision, Editions Lessius, Bruxelles, 2015, 311 pages.

Les déserts de Dieu suivi de Dans l’attente de la vision est constitué de quatre vingt méditations inédites du Père Yves Raguin s.j. qui de son vivant n’ont été distribuées qu’aux amis proches sur le modèle de la « lettre spirituelle ».
« Entre la grasse Égypte et la terre promise il y a toujours un désert » lit-on en exergue. Entre la grasse Égypte, où le peuple élu est partagé entre l’esclavage du travail et la consolation de la consommation (Nombres 11, 5), et la Terre promise tout au bout du chemin, il y a ce désert déroutant au tout au long duquel « Dieu convie ceux qu’il aime à la table qu’il prépare de ses propres mains dans la solitude du désert » et leur « sert la manne, les cailles et l’eau qu’Il fait couler du rocher »
D’une profonde simplicité, ces pages limpides « résonnent des accents de St Jean de la Croix et de Bernard de Clairvaux ». Recueillies et retravaillées sur plus de 20 ans par un fils de Saint Ignace, elles témoignent aussi de ce sain réalisme qui se veut attentif au véritable enracinement de la vie spirituelle dans une vie humaine accomplie, comme le manifeste par exemple le prologue :
« Pour l’adolescent qui entre dans la période de maturité, le désert devient un élément essentiel. Il est le lieu de formation de la personnalité. A cet âge l’homme est capable de lutter corps à corps avec la solitude et d’en triompher dans un approfondissement de sa personnalité.
Essayer de fuir ce désert, c’est se condamner à rester dans un état d’enfance. Il semble que chez beaucoup de nos contemporains cette peur du désert est devenue comme instinctive. On parle beaucoup de communauté, de relations interpersonnelles, on sent le besoin impérieux d’ « être avec »… Si cette tendance en arrive à supprimer l’attrait du désert, je crois qu’il risque de manquer un élément essentiel à la formation humaine. »
Elles visent donc à nous faire partager l’expérience d’une rencontre, d’un compagnonnage dans la solitude, du jeu de Dieu qui donne parfois l’impression de se jouer de nous, mais nous soutient fidèlement, même si nous n’y comprenons plus rien, pour peu que nous Lui fassions confiance. Qu’il est bon alors d’entendre une voix fraternelle pour nous encourager à lâcher prise là où il faut sans lâcher pied ! S’en suit alors pour qui accepte de lui emboîter le pas un chapelet de plus de 80 méditations de deux à trois pages, non pour faire le tour du monde avec Jules Verne, même si l’auteur a lui aussi beaucoup voyagé avant de se fixer à Taiwan mais pour scander ce temps de préparation à Pâques d’une ou deux méditations par jour et nous préparer par une attente active, c’est-à-dire attentive à reconnaître les signes du passage de Dieu qui nous entraîne toujours au-delà dans une rencontre renouvelée avec l’autre aussi différent soit-il tant il est vrai que « l’altérité de Dieu est d’abord ressentie dans l’abîme d’une altérité vécue » (B. Vermander, préface p.13)

« Lorsqu’il achève Les déserts de Dieu, Yves Raguin (1912-1998) s’apprête à entrer dans sa 56e année. Tourangeau, entrée au noviciat de la Compagnie de Jésus en 1930, il a commencé des études de chinois en 1942, études qu’il poursuit de 1946 à début 1949 à Harvard. Il arrive en avril de la même année dans Shanghai assiégée, dont il sera expulsée en août 1953. Il dirige l’équipe du Dictionnaire Ricci à Taiwan à partir de cette date, et enseigne l’histoire chinoise et la philosophie bouddhiste au Vietnam de 1959 à 1964. Rentré à Taiwan, fondant et dirigeant l’Institut Ricci de Taipei, il exercera une activité de conférencier et directeur spirituel en Asie, en Amérique du nord et en Europe. » rappelle Benoît Vermander s.j., successeur deY. Raguin à l’Institut Ricci, au tout début de sa préface au livre.

L’évènement Vatican II – J. W. O’Malley



John W. O’Malley, L’événement Vatican II, La part-Dieu 18 (Lessius, 2011), Diffusion Cerf, 446 p.

Certains érudits répondant à une question précise creusent en toutes directions des questions souterraines que l’interrogateur ne soupçonnait pas… Parfois, ce dernier peut en arriver à ne plus comprendre sa propre question !
D’autres érudits conduisent plutôt à des points de vue supérieurs, d’où se voient bien les grandes lignes du paysage. En les écoutant, des questions fort complexes deviennent simples, des points obscurs prennent sens car on découvre qu’ils sont situés au point d’intersection de mouvements de terrains n’allant pas forcément dans la même direction.
Le père John W. O’Malley fait partie de cette deuxième sorte. Il a passé des années à étudier Vatican II : ses sources, sa forme, ses acteurs, ses courants de pensée, son déroulement, ses applications, les compréhensions qu’on en a eu, etc. Avec une maîtrise peu commune, il a écrit un livre très abordable (nous avons pu le lire au réfectoire sans difficulté ! C’est une garantie !) qui permet de pénétrer dans ce qu’a été cet événement majeur de l’Église au XXe siècle.
Après une introduction très éclairante sur les courants théologiques qui ont précédé la réunion du concile, l’auteur nous présente le déroulement des sessions successives, mettant en lumière le style complètement nouveau adopté par les Pères, les personnalités des ténors des deux grandes tendances qu’il nomme avec sagesse minorité et majorité (pour éviter conservateurs et progressistes, catégories qui ne rendent pas compte de la réalité). L’ébullition intellectuelle et la maturation des idées sont bien situées dans le contexte de l’époque, sans omettre les pressions terribles exercées par les deux tendances, notamment sur les deux papes successifs. Ceux-ci, Jean XXIII et Paul VI, ont réussi à tenir la barre dans les tempêtes, arrivant à faire mûrir les questions jusqu’à conduire toujours à des votes pratiquement unanimes (Le texte le plus âprement discuté : le décret sur la liberté religieuse, a été adopté par 2 368 voix contre 70).
L’auteur fait aussi apparaître une donnée étonnante : sur des thèmes aussi variés que l’œcuménisme, le ministère des évêques et des prêtres, les relations entre Tradition et Écritures, la liberté religieuse, etc. les clivages entre minorité et majorité sont restés identiques. Il en conclut que sous les problèmes évoqués ouvertement se cachaient des questions sous-jacentes qui partageaient les avis en amont. Avec maîtrise, il a réussi à dégager trois questions, implicitement présentes dans tous les documents du Concile, qui n’ont jamais été discutées pour elles-mêmes (sauf la deuxième), mais
seulement dans leurs implications ; elles donnent une clé d’interprétation des textes conciliaires. Si vous voulez les connaître vraiment, je vous invite à lire ce livre ! J’en donne simplement une énumération succincte :
1. La conception du changement (aggiornamento) : retour aux sources, développement ou adaptation au monde ?
2. Le rapport du centre (pape) à la périphérie (les évêques dans leur diocèse) : c’est la question de la collégialité épiscopale.
3. Quel style pour l’Église et pour le concile lui-même ? Fallait-il abandonner un style juridique ou inviter au dialogue avec le monde ?
Les réponses apportées à ces questions ont dessiné le nouveau visage de l’Église, lui donnant ce dont elle avait absolument besoin pour affronter les défis du monde moderne (et postmoderne !) Cinquante ans après sa célébration, la réception de Vatican II est loin d’être achevée, ce livre peut nous aider à accueillir ce que l’Esprit dit aux Églises (Ap 2, 17).

Le dernier dimanche – G. M. Janvier



Gaspard-Marie Janvier, Le dernier dimanche, Mille et une nuits, 2009, 15 €.

Qu’un roman célèbre le rendez-vous hebdomadaire de la messe dominicale : voilà qui est peu banal !
Que dimanche après dimanche il en déploie sans prêchi-prêcha l’étonnante fécondité se nourrissant de ses ouvertures comme de ses petitesses : voilà qui mérite attention !
Que ce livre soit signé de la main d’un laïc, non sans lettres, mais au ras de la vie, aux prises avec les résistances de sa pauvre humanité, voilà qui le rend accessible à tous !
Qu’il le fasse de façon aussi profonde et enjouée, relevant au passage l’absurdité des sophismes qui parasitent l’écoute pour se faire l’écho d’un pasteur qui nous ouvre à l’intelligence des Écritures lorsqu’il nous parle au cœur !…
et qu’il mette autant de liberté de pensée à dénoncer les veaux d’or qui se disputent notre fidélité que de bienveillance souriante à l’égard de ceux qui se rendent à la messe sans conscience du ridicule ou du sans-gêne qui découragent autour d’eux les plus faibles dans leur foi, voilà qui le rend sympathique !
Qu’il dénonce, chemin faisant, les étroitesses ou les ressentiments qui nous guettent tous et nous en voilent les richesses cachées : voilà qui nous invite à la conversion !
Qu’il le fasse en de brefs chapitres qui peuvent se lire et se relire si joyeusement : voilà qui ôte tout prétexte à notre bonne volonté fatiguée !
Qu’à travers tout cela se dessine en filigrane le travail de la grâce et l’itinéraire d’une conversion aux accents autobiographiques d’un homme rendu, certes, disponible par son divorce, mais brisé par l’absence de sa « chair disparue », voilà qui achève de rendre sa lecture si attachante et finalement si poignante…
Une œuvre tout en finesse donc… qui est aussi un discret mais vibrant hommage à la Miséricorde et à ses relevailles.

Quelques extraits pour ceux qui en douteraient ?
« Sortons dans la rue, ouvrons le journal, regardons cette nature basse livrée à elle-même dans son désespoir ou son absurdité. La force du christianisme, avec ses discours, ses images et ses rites, c’est de nous assurer par tous les moyens qu’il existe un autre régime d’être, un régime élevé, tourné métaphoriquement vers le ciel, où le mot « vie » prend une signification qui ne l’oppose plus à la mort. Le pari est là : ne pas ignorer la nature basse, mais ne jamais s’y abandonner ; s’en servir pour atteindre la nature haute, comme la plante puise dans le sol pour opérer son ascension. Par quel moyen ? »… Je vous laisse le découvrir ! ‘_’ !
« Le Christianisme est décidément une école de sagesse, de patience et d’humour, fabriquant des anticorps à chacune des pathologies qu’il secrète. Ainsi ce père la Renfrogne, débitant son prêche à la vitesse d’une kalachnikov, n’applique-t-il pas charitablement l’adage selon lequel un prédicateur ennuyeux doit ennuyer le moins longtemps possible ? »
En contrepoint, « le père Joris, c’est comme quelqu’un avec qui j’entretiendrais une correspondance. Je le retrouve le dimanche sans l’avoir vu ni lui avoir parlé depuis une semaine, mais il me prend là où j’ai avancé et répond aux inquiétudes nées de six journées d’exercice du monde. […] c’est alors que le père Joris me souffle les mots à leur intention : « Telle est bien la folie de l’amour qui ne s’accomplit que désarmé !… Désarmé comme le Christ-roi sur le poteau du supplice, et qui n’a plus que son amour à offrir à l’humanité. »