visage du Christ

Le Carême : en quarantaine avec le Christ pour médecin



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Le Carême : en quarantaine spirituelle

Le mot Carême vient du latin « quarantième », pour désigner le quarantième jour avant Pâques. Cette « quarantaine » peut nous mettre sur la piste du sens du Carême. Si les chrétiens se mettent donc « en quarantaine », c’est pour se préparer à une opération chirurgicale spirituelle : Pâques. Cette opération, c’est le baptême, qui retire de notre être le venin de mort pour nous lancer dans une vie nouvelle d’enfant de Dieu. Pour certains, l’opération va avoir lieu durant la nuit de Pâques. Ils se préparent donc à vivre cette opération vitale, et bénéficient d’une cure intensive durant les jours qui précèdent : ce sont les catéchumènes. Mais tous les chrétiens sont concernés, puisque cette même nuit sera le mémorial et la célébration de leur propre baptême, de leur renaissance dans le Christ, et du rachat de l’Humanité entière, et même de toute la Création. Les baptisés sont donc invités à vivre cette cure pour conserver ce qu’ils ont déjà reçu.
Ce n’est pourtant pas une quarantaine au sens d’une mise à l’écart extérieure, qui aurait pour but d’éviter une contagion. Nous sommes déjà tous contaminés par le péché. Il s’agit plutôt, au cœur de l’année, pour toute l’Église, d’un temps de retraite, d’intériorisation, pour reprendre conscience du Salut apporté par le Christ, et de notre besoin de ce Salut. Nous sommes invités à vivre une sorte de période de soins spirituels intensifs. St Benoît, le père des moines d’Occident, à la suite du pape St Léon, dit que la vie des moines, ou des chrétiens, devrait être en tous temps comme durant le Carême. Mais en raison de notre faiblesse, il nous faut ménager ce temps fort dans notre année.
Prière, jeûne et aumône sont les pratiques extérieures, concrètes, qui sont proposées pour nous aider à intérioriser notre foi et nous préparer à Pâques. Pour être ainsi vécues de l’intérieur, avec le cœur, elles reçoivent leur sens en particulier grâce aux lectures proclamées aux messes des dimanches, qui nous préparent justement à la grande fête pascale. Un parcours de ces lectures pour les dimanches de l’année A nous permettra de mieux découvrir le sens de ce temps de Carême « en quarantaine », et les étapes du pèlerinage intérieur que le Christ nous invite à vivre avec lui, les étapes de purification des catéchumènes.

1er dimanche du Carême : Au désert

Le pèlerinage commence donc au désert, par la victoire du Christ sur la tentation, sur le mal (Matthieu 4, 1-11). Ce combat victorieux durant 40 jours ouvre la mission publique du Christ et donne sa forme à notre Carême. « Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable. » C’est l’Esprit Saint qui conduit Jésus au désert pour y être tenté. Il y a comme une nécessité pour le Christ de passer par l’épreuve de la tentation. Cela vient de ce qui est dit juste avant dans le texte biblique : Jésus est fils d’Adam, il a vraiment pris notre condition humaine, et toute notre condition humaine. Or les deux premières lectures (Genèse 2, 7 – 3, 7; Romains 5, 12-19) nous expliquent que la tentation du mal, du péché, fait partie de la condition humaine actuelle : « nous savons que par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et que par le péché est venue la mort ; et ainsi, la mort est passée en tous les hommes, étant donné que tous ont péché. » Bien souvent nous manquons le but de notre vie, peut-être sous couvert de bien. Les propositions du tentateur à Jésus ont un côté attrayant, elles semblent pouvoir contribuer à un bien. Pourtant Jésus, qui est le Chemin fait homme, ne se laisse pas détourner du Père. Lui qui est la Vérité faite chair, ne se laisse pas prendre par le mensonge. Lui qui est la Vie est d’ores et déjà vainqueur de l’œuvre de la mort. Il guérit déjà l’humanité qu’il a assumée.
Adam, l’Homme, créé par le souffle de Dieu et placé dans le jardin du Paradis, de la communion avec Dieu, avait désobéi à la parole de Dieu, et fait chuter toute la Création. Par la présence même du Fils de Dieu dans le monde, le salut s’accomplit, le mal n’a plus de prise. Jésus, l’Homme nouveau, conduit par l’Esprit dans le monde devenu un désert à cause du péché, un lieu sans vie, restaure la première Création, et remet l’homme en communion avec Dieu par son obéissance au Père, à la parole de Dieu. La tentation est là, car la lutte avec le démon va continuer, mais la victoire est acquise. Elle est pleinement accomplie par le Christ. Elle l’est en espérance pour nous qui marchons à sa suite. Nous sommes encore soumis à la tentation. Parfois nous arrivons à vaincre, avec la grâce de Dieu. Et d’autres fois nous refusons la grâce et nous tombons dans le piège. Mais Christ est là pour nous relever. Son attention pour les pécheurs et la guérison des malades nous le révèle.
Les lectures du premier dimanche nous rappellent d’un côté la fragilité de notre humanité devant Dieu, et d’un autre côté nous donnent déjà l’espérance de la victoire du Christ dans la tentation, et de son aide face à nos tentations. Nous autres moines reprenons le psaume 90 pour les chants de la messe. Il est très caractéristique de ce dimanche, car il est utilisé dans l’évangile. C’est un psaume de confiance qui ne cache pas l’état d’épreuve dans lequel nous sommes, mais qui nous invite à mettre notre assurance en Dieu qui nous protège : « Quand je me tiens sous l’abri du Très-Haut, et repose à l’ombre du Puissant, je dis au Seigneur ‘’mon refuge, mon rempart, mon Dieu, dont je suis sûr’’ ». C’est cela, se tenir en vérité devant Dieu. C’est à cette attitude aussi que nous sommes invités à chaque début de messe, lorsque le célébrant nous invite à nous reconnaître pécheurs.

Ce dimanche marque une étape préparatoire pour les catéchumènes qui seront baptisés dans la nuit de Pâques. C’est l’appel décisif et l’inscription du nom : le catéchumène est présenté, et il dit son désir de recevoir le baptême. Moment de vérité sur soi : on reconnaît avoir besoin d’être sauvé, guéri du péché. Et tension libre du désir vers le Salut proposé par le Seigneur : on marche résolument vers le baptême.

2e dimanche de Carême : Sur la montagne

Le deuxième dimanche nous emmène sur la montagne de la Transfiguration, le mont Thabor (Matthieu 17, 1-9). C’est un moment charnière de la vie de Jésus telle que la présentent les évangiles « synoptiques » de Matthieu, Marc et Luc. Pierre vient de confesser sa foi en Jésus Messie, au nom de tous les Apôtres. En réponse, Jésus a fait une première annonce de sa nécessaire Passion avec l’espérance de la Résurrection. C’est alors que Jésus est confirmé dans sa mission par la voix du Père, devant Pierre, Jacques et Jean : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! ». Il est entouré par Moïse et Élie qui ont annoncé sa venue. Eux aussi avaient tous deux jeûné 40 jours et eu un temps d’intimité avec Dieu sur la montagne (Exode 24 et 1 Rois 19) pour être confortés dans leur mission. Déjà la puissance de la Résurrection est à l’œuvre dans le Christ, parce que, vraiment homme, il n’en est pas moins vraiment Dieu. Les trois apôtres qui ont la grâce de partager ce moment, de voir Jésus transfiguré, ne comprennent pas sur le moment, mais ils sont renforcés pour pouvoir vivre plus tard avec lui son agonie, sa défiguration. Avec eux, nous voyons ce que nous serons un jour : lumière en Dieu.
Après l’aridité du désert, et l’hostilité de la tentation, par lesquelles le premier dimanche nous a fait passer, un réconfort et une direction sont donnés dans cette vision : la glorification du Christ, et la nôtre en lui. Mais nous ne sommes pas faits pour nous installer dans cet instant de douceur, comme le souhaiterait Pierre. Il nous faut marcher résolument dans la foi, quitter nos repères, nos conforts, comme Abraham donné en exemple dans la première lecture (Genèse 12, 1-4) : « Quitte ton pays… ». Comme Jésus, à sa suite, il s’agit d’accomplir le projet de Dieu selon sa vocation propre, quitte à « prendre [sa] part des souffrances », pour qu’un jour resplendissent la vie et l’immortalité, affirme St Paul dans la deuxième lecture (2 Timothée 1, 8-10).
C’est simplement un résumé du pèlerinage spirituel, dans toute sa simplicité et sa radicalité : le mystère pascal. Accomplissement de la libération de l’esclavage d’Égypte et de l’Exode conduit par Moïse. Véritable culte spirituel du Dieu Unique qui provoque l’hostilité du monde, comme il en fut pour Élie. Tout cela est accompli par le Christ, dans le Christ, humanité parfaite, guérie de toute scorie du péché. Le mystère pascal est celui du Christ, mais c’est aussi celui du baptisé qui a été plongé dans le Christ, et uni à lui. Nous sommes donc centrés sur l’essentiel. Et le reste du Carême va nous préparer, en même temps que les catéchumènes, à célébrer cet essentiel : communier aux souffrances du Christ pour participer à sa résurrection, passage de la mort à la vie par la même obéissance à la Parole du Père.

Ce dimanche n’est pas marqué par une étape particulière pour les catéchumènes. Mais traditionnellement, durant la semaine pouvait avoir lieu la transmission du Credo et du Notre Père, l’illumination par ces trésors de l’Église : le contenu de la foi et l’essentiel de la prière chrétienne, médicaments spirituels de base. Ils devaient commencer à les apprendre pour pouvoir les réciter solennellement à la suite de leur baptême.

3e dimanche de Carême : Près du puits

Le pèlerinage vers Pâques continue avec une rencontre près d’un puits, en Samarie (Jean 4, 5-42). Il y a beaucoup de rencontres près d’un puits dans la Bible, des rencontres avec des femmes qui y vont puiser de l’eau. Et elles trouvent l’amour. C’est ce qui va arriver à la femme de Samarie, qui a besoin d’une guérison du cœur. Le Christ vient à sa rencontre, « fatigué par la route ». Il a soif, comme sur la croix. La femme, elle, est manifestement un peu perdue dans sa vie. Elle vient au puits à midi, l’heure la plus chaude du jour, sans doute pour être sûre de n’y rencontrer personne. Elle devait être connue comme la femme aux 6 hommes, affectivement instable et insatiable, embrouillée dans ses questions métaphysiques sur le lieu où il faut adorer Dieu, portant le poids du jour. Mais Jésus sait, mieux qu’elle-même, qu’elle aussi a soif, et de quoi elle a soif. Il sait réveiller son désir le plus profond en partant de son besoin le plus corporel et de son souci le plus quotidien et prosaïque : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : ‘Donne-moi à boire’, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. » Il la conduit jusqu’au désir de l’adoration véritable, pour finalement se révéler à elle comme le Messie attendu, espéré, désiré, l’Époux véritable : « l’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père. Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer. »
Cette soif d’eau était déjà l’expérience du Peuple d’Israël au désert. Dans la première lecture (Exode 17, 3-7), le peuple récrimine, car il est frustré dans un désir profond qui est un besoin bien naturel. Et Dieu, par l’intermédiaire de Moïse, est défié. Dieu a voulu que le peuple qu’il a choisi puisse connaître cette soif, et désirer l’eau que Dieu lui-même donnerait. Par cet événement, il a voulu se révéler comme la source vive. Déjà à ce moment on peut contempler la grande pédagogie spirituelle de Dieu qui passe par la condition corporelle de ceux qu’il aime pour les amener à prendre conscience de leur indigence, de leur dépendance, pour les inviter à croire en lui et à l’aimer. Le Carême sera-t-il pour nous l’occasion de prendre conscience du désir le plus profond de notre nature humaine ? Bienheureux serons-nous si l’épreuve nous conduit à crier vers Dieu, à lui demander de l’eau, même si au début nous le faisons mal.
La Samaritaine, c’est au fond toute l’humanité, chacun de nous. Nous avons besoin d’une guérison du cœur qui révèle notre vraie soif. Mais quelle est cette eau que le Seigneur veut nous donner, ou plutôt qu’il nous propose de boire ? La seconde lecture (Romains 5, 1-8) lie les deux autres au mystère pascal. Le Christ est mort pour les bons à rien que nous sommes, comme il est mort pour le peuple perdu au désert ou la Samaritaine perdue dans sa vie. Et voici l’eau vive qu’il nous propose pour nous désaltérer : « l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné ». Par le Baptême, la Confirmation, la Communion au Précieux Sang du Seigneur, nous buvons à la source de l’amour de Dieu, de l’Esprit Saint. En avons-nous assez soif ? Ne faut-il pas un Carême annuel pour en raviver la soif ?

En ce dimanche, les catéchumènes sont invités à vivre le premier « scrutin ». Ce mot évoque le discernement. En ce jour on prie pour qu’ils discernent leur vraie soif de Dieu de tous les faux désirs, les désirs mauvais ou superficiels, qui les habitent. On demande donc au Seigneur de faire pour eux ce qu’il a accompli pour la Samaritaine, et on les prépare à vivre de l’intérieur, durant leur baptême, le signe de l’eau.

4e dimanche de Carême : À la porte du Temple

La quatrième étape se déroule à Jérusalem, à la porte du Temple (Jean 9, 1-41). Un aveugle-né y est là pour mendier. Nouvelle indigence. Nouvelle vulnérabilité. Nouvelle rencontre avec le Christ. Jésus ne se présente plus comme l’Époux qui offre l’eau vive de son amour, mais il se présente comme « la lumière du monde », qui peut guérir tout aveugle de sa cécité. À vrai dire, l’aveugle n’est pas seul avec le Christ dans cette histoire. Autour de lui gravitent d’une part les fidèles normaux qui s’interrogent sur ce Jésus dont on parle, qui fait polémique, et d’autre part les pharisiens, des ultra-religieux tatillons sur les règles, qui sont au cœur de la polémique contre Jésus, rabbi non-conventionnel, et peut-être trop populaire. Comme la femme du dimanche précédent, l’aveugle est connu : tout le monde le voit, lui qui mendie à la porte du Temple, et tout le monde pense qu’il y a du péché dans l’air, lui qui est plongé dans les ténèbres depuis sa naissance. Même les disciples de Jésus le pensent et interrogent ouvertement Jésus : « Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » Encore le mal, le péché, les ténèbres, les accusations, les misères humaines, et dans la personne du Christ, Dieu qui vient pour un discernement, pour rendre un jugement entre la vraie lumière et les vraies ténèbres.
Ce jugement dépasse bien sûr celui qu’il rend entre les pharisiens et l’aveugle guéri. Jésus sortant du Temple, n’est-ce pas le Fils sortant du sein du Père qui est présenté dans le Prologue du même Évangile ? Et l’aveugle n’est-il pas la figure de l’humanité qui chemine dans les ténèbres, attendant le seul qui puisse lui rendre la lumière, c’est-à-dire le Créateur de la lumière et de l’Homme ? Jésus semble opérer un acte de recréation de cet homme : par sa parole et la salive de sa bouche, par l’argile, la poussière du sol, qu’il façonne et applique sur les yeux de l’aveugle, par l’eau de la piscine de Siloé (« l’Envoyé », c’est-à-dire lui-même), il donne la lumière à cet homme. Tout cela renvoie aux récits de la Création et nous parle de la nouvelle Création.
Jean décrypte pour nous les gestes de Jésus qui nous révèlent le sens de sa mission, du baptême, de notre vocation de chrétien. Paul, dans la seconde lecture (Éphésiens 5, 8-14), nous exhorte à vivre en conséquence : « Frères, autrefois, vous étiez ténèbres ; maintenant, dans le Seigneur, vous êtes lumière ; conduisez-vous comme des enfants de lumière ». Le Carême est ce temps privilégié pour préparer les catéchumènes à passer des ténèbres à la lumière, et pour rappeler aux chrétiens les exigences de la grâce qu’ils ont reçue. Car trop souvent nous avons tendance à refermer les yeux, à nous endormir dans les ténèbres du péché. Laissons-nous réveiller encore par l’hymne rapporté par Paul : « Réveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera. »

Nouveau scrutin pour les catéchumènes en ce dimanche. On prie pour qu’ils soient libérés « de toutes les illusions qui pourraient les aveugler », « qu’ils soient fermement enracinés dans la vérité et deviennent fils de lumière ». On demande au Christ lumière de leur donner son Esprit pour les libérer de tout mensonge. C’est ainsi qu’ils sont préparés à vivre le rite de la lumière durant la liturgie du baptême.

5e dimanche de Carême : Au tombeau

La cinquième étape est la plus impressionnante (Jean 11, 1-45). Il ne s’agit plus de tentations, ni de maladie du cœur ou du corps à guérir. Il s’agit de la mort, de la fin de tout, ultime conséquence du péché : « Lazare est mort, et je me réjouis de n’avoir pas été là, à cause de vous, pour que vous croyiez. » Jésus va conduire ses disciples sur le chemin d’une foi encore plus radicale en Dieu. Ce chemin, il l’accomplit lui-même. Face à la mort, il ne reste pas de marbre : il « fut saisi d’émotion, il fut bouleversé », puis il « se mit à pleurer », puis en arrivant au tombeau, il est « repris par l’émotion ». Lui qui s’est fait vraiment homme se trouve face à la conséquence ultime de son Incarnation, qui l’attend pour bientôt. Car c’est un moment décisif dans sa vie, un moment ou la situation bascule. L’étau de l’hostilité s’est resserré autour de lui. Et alors qu’il rend la vie à Lazare, son ami, le processus vers sa mise à mort s’engage de manière décisive. La croix est à l’horizon, mais en bon médecin, Jésus va nous parler de vie et d’espérance au-delà de nos morts.
Dieu semble parfois absent de nos morts. Dieu semblait absent du jardin de la Genèse lorsque Adam et Eve se sont écartés de sa parole. Jésus est absent quand meurt son ami Lazare. Mais… l’absence n’est-elle pas plutôt la nôtre ? En s’écartant de l’obéissance à Dieu, en vivant selon la chair et non selon l’Esprit, comme dit St Paul, l’homme s’enferme lui-même dans le périssable, le tombeau, la mort. Lazare au tombeau représente l’Humanité, tout homme, que le Christ est venu tirer de la mort. Dieu, ami de l’homme, veut le faire revenir à la vie, comme il l’a tiré du néant en le créant. Ainsi l’annonce le prophète Ézéchiel dans la première lecture (Ézéchiel 37, 12-14) : « Vous saurez que Je suis le Seigneur, quand j’ouvrirai vos tombeaux et vous en ferai remonter, ô mon peuple ! Je mettrai en vous mon esprit, et vous vivrez » C’est bien ce qu’il a fait dans le jardin de la Genèse : il a insufflé dans les narines d’Adam l’esprit de vie.
En ressuscitant Lazare, le Christ médecin conforte notre foi en Dieu maître absolu de toute vie, et il nous montre la route de l’action de grâce pour la victoire du Père : « Père, je te rends grâce parce que tu m’as exaucé » : il croit sans voir encore. Jésus révèle ainsi par un acte ce qu’il a dit à Marthe : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra. » C’est lui-même qui, bientôt, va être le premier de tous à passer à travers la mort pour la vaincre, signe de victoire sur toute puissance du mal, des ténèbres. Il ouvre ainsi la route de l’Eucharistie, de la prière d’action de grâce qui rend présente et agissante la présence puissante et salvifique de Dieu, jusqu’à la fin des temps, pour nous rejoindre à l’intime par nos corps mortels : « si le Christ est en vous, le corps, il est vrai, reste marqué par la mort à cause du péché, mais l’Esprit vous fait vivre, puisque vous êtes devenus des justes. » dit la deuxième lecture (Romains 8, 8-11).

Pour les catéchumènes, c’est le dimanche du troisième et dernier scrutin, dernière étape pour aviver dans leurs cœurs la conscience du péché et de ses conséquences, et le désir d’être sauvés. On appelle les candidats hors du tombeau : « Lazare, viens dehors ! ». Par leur baptême, ils viendront à la vie avec le Christ et seront libérés des entraves du péché : « Déliez-le, et laissez-le aller. » Ils sont ainsi préparés à recevoir le vêtement blanc, signe de notre résurrection dans le Christ.

Un Carême en quarantaine : comment faire ?

Après avoir médité sur le sens du Carême, et vu à l’œuvre le Christ médecin, que pouvons-nous faire concrètement pour vivre ce temps ? La Parole de Dieu écoutée, accueillie, doit s’incarner dans notre vie, dans notre obéissance. Comment s’ouvrir à l’Esprit du Christ pour qu’il nous prépare à Pâques ? Les lectures des dimanches et la préparation des catéchumènes, nous l’avons vu, mettent l’accent d’un côté sur la misère dans laquelle nous sommes, et de l’autre sur ce que nous sommes appelés à devenir. C’est l’essentiel de la préparation à la célébration de notre Salut dans le mystère pascal du Christ. La Création est bonne, et même très bonne. Mais elle est déchue et a besoin d’une Rédemption qui soit une nouvelle Création par l’Esprit Saint. Déjà nous avons reçu la grâce de Dieu, déjà nous sommes revivifiés, mais il nous reste à nous ouvrir à cette grâce pour qu’elle envahisse notre vie.
Trois moyens concrets sont traditionnellement mis en œuvre pour intensifier notre ouverture à l’action de l’Esprit Saint :
le jeûne, qui met face à soi-même. Il nous fait sentir notre finitude, notre fragilité. C’est aussi un moyen de nous rappeler la nécessité d’un contrôle sur soi. Il concerne la nourriture, mais plus largement tout besoin superficiel, non nécessaire : la palette est large ! Et il doit s’accompagner d’une vigilance particulière pour choisir la vie et le bien, et renoncer à tout ce qui détruit ;
l’aumône, le partage, qui nous mettent face aux autres. La fermeture qu’est le péché nous ferme aux autres, alors que l’amour est ouverture. Il ne s’agit pas simplement de donner un bien matériel. Il y a beaucoup d’autres choses qu’on peut donner : du temps, de l’attention, des services, etc., tout ce qui peut accompagner un renouveau dans notre amour pour tous les hommes ;
la prière, enfin, qui nous met face à Dieu. Prendre un peu plus de temps pour prier, ou en augmenter la qualité rappelle la nécessité de nous ouvrir à Dieu. Il est bon que la prière communautaire, familiale ou personnelle fasse l’objet d’une attention renouvelée et éventuellement d’une ferveur particulière en ces jours.

Dieu qui as réconcilié avec toi toute l’humanité en lui donnant ton propre Fils, augmente la foi du peuple chrétien, pour qu’il se hâte avec amour au devant des fêtes pascales qui approchent.

Oraison du 4e dimanche de Carême